D’une Commission l’autre : deux époques

Jean-Claude Juncker et sa Commission ont donc été confirmés par le Parlement européen. Le même jour, Manuel Barroso est venu prononcer son discours de fin de mandat dans l’indifférence générale. La différence entre les deux interventions est frappante et révèle à quel point l’Union a fait un saut.

Commençons par Manuel Barroso. Que dire ? Le plus impressionnant était la constance de son discours, comme si rien ne s’était passé, comme s’il vivait encore dans l’Europe de papa. Il a commencé par dénier tout problème, assurant que la crise venait de l’extérieur et qu’on s’en était bien sortis quand même, hein ! Le redressement est en cours ! Mais surtout quelques passages sont lunaires :

« Ce n’était pas l’Europe qui a créé la dette privée excessive, le manque de responsabilité du domaine financier, au contraire. Tout cela s’est passé sous la supervision ou le manque de supervision nationale. L’Europe est la réponse. Maintenant nous avons un des plus ambitieux, sinon le plus ambitieux au monde, système de régulation et de supervision. Donc, dire que l’Europe est pire à cause de l’Union européenne c’est un mensonge. C’est un manque de respect complet et un manque de rigueur intellectuelle. Ce n’est pas l’Europe qui a créé la crise financière. Elle est née aux Etats-Unis. »

Ce n’est pas faux. Mais ce n’est pas grâce à la Commission Barroso qui voulait à l’époque démolir cette régulation d’un autre âge, une finance libérée, autorégulée et performante allant porter à des sommets la productivité de l’Europe. A l’écouter il semble avoir débuté son mandat en 2010 ; il n’est pas interdit d’avoir de la mémoire. Et surtout le dernier mot de son intervention :

« Dans ma Commission il n’y avait pas de collègues du PPE, des socialistes, des libéraux. Il y avait des gens qui travaillent pour l’Europe. Mon parti est le PPE et j’en suis fier, mais en tant que Président de la Commission mon parti est l’Europe. »

Barroso est en décalage total avec la rupture introduite par l’élection de Juncker, précisément sur des bases politiques. Et ceci est parfaitement symbolisé par son auditoire, composé à peu de choses près de seuls membres du PPE selon Quatremer.

Jean-Claude Juncker a livré une prestation opposée. Son discours, quoique soporifique, a continué à poser les jalons d’une démocratie parlementaire en Europe, et pas seulement par le choix des mots et des références, mais bien par les mécanismes concrets de pouvoir auquel il a indiqué se soumettre. Le terme est galvaudé, mais il s’agit sans nul doute d’un discours historique.

D’abord, les Etats sont purement et simplement évacués du discours, sinon par les bords pour justifier en creux la présence de personnalités dans sa Commission qu’il n’a pas choisies. Sans faire preuve de naïveté excessive, le choix est intéressant. Juncker s’engage devant le Parlement et lui rend compte de la composition des portefeuilles et des missions. En particulier, il détaille les aménagements effectués à la suite des demandes faites par le Parlement, formellement ou informellement à travers le ton des auditions.

Outre l’annonce d’une nouvelle commissaire slovène, on retiendra surtout l’ajout du développement durable dans les compétences de Frans Timmermans, mettant ainsi en balance la personnalité de Miguel Canete sur les questions environnementales. De même, le commissaire hongrois se voit retirer les questions de citoyenneté et la santé est retirée du rouleau compresseur à libéraliser du marché intérieur. On imagine mal le gouvernement français ainsi remanié après des auditions par l’Assemblée nationale…

Ensuite et surtout la grande coalition PPE SD ALDE est affirmée comme un cadre de pouvoir. Jean-Claude Juncker a ainsi commencé ses salutations traditionnelles par le Président du Parlement, Martin Schulz, avec lequel il a rappelé avoir passé un contrat. Mais l’innovation principale est son vice-président.

Frans Timmermans est le miroir de Juncker. Il est un social-démocrate hollandais, soucieux de la liberté du commerce là où le Président est un conservateur social. Et Juncker l’a clairement installé en position de pouvoir en le présentant comme son bras droit, et aussi son bras gauche. Il a également pris un engagement politique très fort en indiquant que sur le tribunal international TTIP / TAFTA il se rangerait à son avis, le dernier mot revenant au Parlement. C’est donc l’affirmation d’un tandem directorial PPE / SD et certains à Bruxelles commencent à évoquer la possibilité d’une succession à mi-mandat, comme cela s’est pratiqué pour le Parlement dans la mandature précédente.
Arthur Colin

 

 

Arthur Colin – @arthurcolin

Arthur Colin
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9 Commentaires

  1. Si j’interprète bien l’EU serait aujourd’ hui gouvernée par une équipe de social démocrate portée un peu plus vers la gauche sociale . Si c’est le cas très bien mais j’en doute .

    • C’est effectivement un peu trop optimiste. Il s’agit d’une coalition droite / centre / sociaux-démocrates. La coloration de droite ne faisant pas problème, Juncker est du PPE, il s’est attaché à mettre en scène la partie sociale-démocrate.

  2. Je voudrais savoir comment se positionne cette nouvelle équipe par rapport au Grand Marché Transatlantique et à l’Accord général sur le commerce des services, qui me semblent deux enjeux majeurs pour l’avenir de la planète.

  3. J’espère que la Commission ne va pas accepter le TAFTA, si le Parlement ne l’accepte pas a-t-il vraiment voix au chapitre? Comment se fait-il que l’Allemagne doive payer parce-qu’elle ose sortir du nucléaire, pourtant les tribunaux spéciaux n’existent pas encore et j’espère qu’ils n’existeront jamais!

      • Dupont parle du différend opposant l’Allemagne à Vatenfall, le géant suédois du nucléaire, qui lui réclame la bagatelle de 4,7 milliards d »euros; somme qu’elle estime perdre suite à sa sortie du nucléaire…l’affaire est encours devant des tribunaux administratifs mais que se passera-t-il si le TAFTA est avalisé avec sa clause de tribunaux « privés »…

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