Delors: une sonette d’alarme pour l’Union monétaire

L’affaire grecque met à l’épreuve la solidarité entre les pays membres de l’Union économique et monétaire (UEM), mais, plus encore, elle illustre les lacunes de celle-ci. Lors du bilan des 10 ans de l’euro, j’avais rappelé, une fois de plus, que la monnaie européenne protège les pays membres, mais ne les stimule pas. Bien plus, elle les protège même de leurs bêtises. Pourquoi en est-il ainsi? Pour répondre, il n’est pas inutile de revenir en arrière.

En 1988, dans une de ces rares périodes d’euphorie qu’a connue l’Union européenne, le Conseil européen décide de mettre à l’étude la monnaie unique. Il me demande à cette fin de présider un comité composé des gouverneurs de banques centrales et de personnalités qualifiées. Ce rapport est adopté en juin 1989 par le Conseil européen.Il expose les conditions, les étapes et les structures d’une UEM. Il consacre plus de place à l’économique qu’au monétaire. Ainsi, la partie économique devait comprendre quatre éléments fondamentaux: le marché unique, une politique de concurrenc,e des politiques communes visant à l’ajustement structurel et le développement régional, une coordination des politques économiques comprenant des règles budgétaires contraignantes. Le traité de Maastricht reprit les grandes lignes du rapport Delors, mais, bien entendu, lassa le soin au Conseil européen de décider des modalités de mise en oeuvre.

C’est en 1997 que se décida le sort de l’UEM. J’avais plaidé depuis la ratification du traité pour pour un équilibre entre l’économique et le monétaire. Alors que s’élaborait un pacte de stabilité monétaire, je proposai, redevenu simple militant européen, un pacte de coordination des politiques économiques nationales. J’avais pris le soin de ne pas utiliser la formule d’un gouvernement économique, connaissant, d’une part, l’allergie allemande et néerlandaise à cette proposition, et, d’autre part, le fait que l’UEM n’est pas une organisation de type fédéral.

Curieusement, les dirigeants français de l’époque, le président Chirac et le Premier ministre Jospin, se contentèrent d’un changement de nom du pacte. On ajouterait « croissance » au pacte de stabilité monétaire, en oubliant le contenu d’une coopération économique. ah, le minimalisme des responsables politiques français! Qu’il est bon de parler, dans les déclarations politiques, de gouvernement économique pour, ensuite, se contenter d’un mot, le mot étant plus facile à prononcer que la chose à obtenir.

Non pas que je considère inutile ou paralysante l’application de règles budgétaires. Au contraire. Mais elles ne sont pas suffisantes pour assurer une croissance riche en emplois dans la stabilité des prix. D’autre part, comme le souligne l’ancien directeur général du FMI Jacques de Larosière, « durant ces dix dernières années, les banques centrales ont négligé la stabilité financière au profit d’une conception plus simple de la politique monétaire. » Soit une politique axée sur la seule stabilité des prix. L’Eurogroupe n’a donc pas vu venir la formation de bulles et l’expansion exagérée du crédit. D’autre part, l’absence de coordination des politiques macroéconomiques ne permettait pas d’optimiser la croissance, ni d’amortir les conséquences d’une récession.

Le train de l’UEM a donc embarqué, comme on dit, des passagers clandestins: d’un côté les pays qui laissaient aller le crédit et gonfler les bulles; de l’autre, l’Allemagne, qui profitait pour ses exportations, d’une conception si peu exigeante en matière d’harmonisation des règles et des coûts.

Il aura fallu la spéculation contre la Grèce pour que l’on évoque à nouveau la nécessité d’un gouvernement économique. `mais encore n’en est-il question qu’au’au niveau des Vingt-Sept, sans plus de précision. Encore des mots qui n’engagent à rien. Alors qu’une forme de gouvernement économique s’impose dans le cadre plus contraignant d’une union de seize pays liés par une monnaie. Or la construction européenne souffre d’annonces de nos chefs… non suivies d’effet. Il serait cruel d’en faire la liste depuis quinze ans.

Rappelons que l’Union ne dispose même pas d’une capacité d’emprunt en son nom, toujours refusée par une majorité de pays membres. Cette proposition figurait dans le livre blanc que j’avais présenté au Conseil européen de décembre 1993, et qui avait été approuvé. Il s’agissait notamment de financer de grands programmes européens d’infrastructures, générateurs de compétitivité, de croissance et d’emplois. La même proposition fut renouvelée en 2008 sous la forme d’eurobonds, ce qui aurait permis de soulager, à un moindre coût, les pays en difficulté. Tout en montrant la solidité de notre Union.

Je n’ignore pas la clause de « no bail out » qui figure dans les traités. Mais puisque le Conseil a manifesté sa « solidarité politique » avec la Grèce, l’Union risque d’être amenée à des formes de soutien financier bien moins orthodoxes que ceux qu’aurais permis des prêts venant du placement des eurobonds. Et comme il vaut toujours mieux prévenir que guérir, il n’est pas trop tard pour mettre enfin l’UEM sur ces deux jambes: l’économique et le monétaire.

Jacques Delors, Challenges du 18 février 2010

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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