Dégradation de la note de l’Union Européenne ! Incohérence ou Incompétence ?

Les autorités de l’UE, et notamment les Chefs d’Etat et de Gouvernement réunis en sommet, ont eu tort de banaliser l’annonce de la dégradation de la note crédit de l’Union. Même si elle fait suite à des dégradations similaires qui ont touché d’autres grands émetteurs, en particulier les Etats-Unis, avec des répercussions minimes sur les taux de refinancement de leurs dettes, l’annonce faite par Standard et Poor’s ce vendredi doit interpeller tant les autorités que les investisseurs.

En effet, soit l’agence de notation a conclu, après une analyse approfondie, que les perspectives de l’Union sont moins solides qu’auparavant ; dans ce cas il est incohérent de ne pas dégrader simultanément les notes de la BEI, de l’Allemagne de la Finlande et du Luxembourg, soit elle a simplement fait preuve d’incompétence dans son analyse des risques encourus par les détenteurs de titres émis par l’Union.

Les émissions en question, dont le montant en cours est par ailleurs limité, bénéficient de la garantie inconditionnelle du budget de l’Union et à ce titre sont une obligation « conjointe et solidaire » des 28 Pays Membres ; cela veut dire qu’en cas de nécessité les Pays Membres solvables doivent, par les termes mêmes des Traités, fournir au budget de l’Union les moyens de rencontrer ses obligations. Ceci est à contraster aux obligations du FESF (déjà dégradé) et du MES qui ne bénéficient que d’une couverture partielle de leurs obligations par chaque Pays signataire des traités intergouvernementaux qui les établissent.

La décision de l’agence de notation implique qu’elle estime que l’Allemagne (et les autres pays notés AAA) n’est plus capable (ou éventuellement refusera) de faire face « inconditionnellement » à ses obligations ; dans ce cas une dégradation de la note de l’Allemagne s’impose car il est absurde d’accorder une note supérieur à la dette souveraine d’un pays à celle de la dette que ce même débiteur assume au travers de sa garantie inconditionnelle.

Le même raisonnement s’applique à la notation des obligations de la BEI dont les actionnaires sont les mêmes 28 pays Membres. Même si la construction juridique, au travers de laquelle les actionnaires de la BEI se portent fort pour ses engagements, est légèrement différente de celle qui s’applique au budget, l’implication d’une caution « conjointe et solidaire » est identique. Il est donc difficile de comprendre pourquoi la notation de la BEI n’est pas remise en question.

Une seconde incohérence dans l’annonce faite par S&P est la qualification des perspectives comme « stable ». En effet, on peut comprendre que l’agence se préoccupe de la lenteur des progrès et des compromis boiteux qui président à la mise en œuvre de l’Union Bancaire. Elles prolongent les incertitudes concernant la pérennité de la monnaie unique en cas d’une nouvelle crise, de quelqu’origine qu’elle soit, qui mettrait en péril la solidité du système bancaire ou la solvabilité d’un Pays Membres de l’Eurozone. Le manque de progrès vers une structure fédérale de l’Eurozone, accompagné de la montée en puissance de partis politiques nationaliste et populistes, sont autant de raisons valables pour remettre en cause les perspectives de « solvabilité » de l’UE. Si c’est cette raison qui sous-tend la décision, elle devrait être clairement explicitée ; il est alors évident qu’elle s’appliquerait mutatis-mutandis à toutes les institutions européennes et à ses Membres. Cette justification serait néanmoins très difficile à concilier avec une « perspective stable ».

En conclusion, je penche plutôt vers l’interprétation qui met en évidence l’incompétence de l’agence et les erreurs fondamentales qu’elle a commise dans son analyse. J’écris en connaissance de cause ayant été responsable pour la notation des émissions de la CEE, d’Euratom et de la CECA entre 1993 et 2002, période où le fondement juridique de la garantie conjointe et solidaire des Etats Membres, au travers du budget de l’UE, n’a jamais été remise en cause.

Il est très important que les autorités réagissent avec fermeté à ces développements pour éviter que la mollesse de leur réaction ne soit considérée par les investisseurs comme l’acquiescement des incertitudes qui planent sur l’avenir de l’Union.

 

Paul N. Goldschmidt
Directeur, Commission Européenne (e.r.) ; Membre du Comité Consultatif de l’Institut Thomas More.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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4 Commentaires

  1. Tout en n’ayant pas les compétences économiques de Paul Goldschmidt, je partage intuitivement l’analyse de mon collègue. A mon plus modeste niveau, je me contenterai de conclure en parodiant une admonestation désormais célèbre: « Casse toi, Poor Standard ! »

    GV

  2. Merci pour cet article qui nous fait réfléchir sur la raison pour laquelle l’Europe n’a toujours pas mis en place une agence de notation indépendante pour contrer la suprématie des USA dans ce domaine.

  3. Les agences de notation cherchent à redorer leur blason terni, en dégradant (toujours après coup) tel ou tel émetteur. De plus, S&P obtient une publicité gratuite. La situation de l’Europe est certes délicate, mais la dégradation par S&P, l’agence la plus douteuse à mon sens, évoque le proverbe « le chien aboie, la caravane passe ». Cela dit, elle passe, mais pour aller où ?
    en tout cas, merci à Paul Goldschmidt pour cette analyse simple et claire.

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