De Renzi à Salvini : la valse furieuse des Matteo

On a souvent présenté Matteo Renzi comme une sorte de Machiavel de la vie politique italienne. La comparaison est un peu facile dès lors que l’on évoque un ancien maire de Florence. Mais si l’on prend en compte la vision caricaturale – et simpliste car la pensée du philosophe Florentin était en fait nettement plus profonde – du machiavélisme selon laquelle la fin justifie les moyens, force est de constater que si l’on n’a aucun mal à mettre en évidence les manœuvres tortueuses dont est coutumier l’ancien Premier Ministre, il est au contraire de plus en plus difficile d’y distinguer un objectif et une finalité.

En 2019, lorsque Renzi avait décidé de quitter le Parti Démocrate pour fonder Italia Viva, il apparaissait déjà très clairement qu’il agissait par dépit après avoir perdu le contrôle du principal parti de centre gauche au profit de Nicola Zingaretti qui représentait, quand à lui, le courant social démocrate opposé au social libéralisme des « Renzistes ». Néanmoins, son pari aurait pu présenter un certain intérêt s’il avait été en mesure d’aller arracher des voix centristes à une coalition dite de « centre droit » mais dominée de plus en plus par la Lega de Matteo Salvini. Renzi s’était d’ailleurs à l’époque ostensiblement affiché comme le principal ennemi de Salvini, désireux de structurer la vie politique italienne autour d’un mano à mano entre les deux Matteo. Moins de deux années plus tard, il est pourtant juste d’affirmer qu’en provoquant la chute du gouvernement Conte, Matteo Renzi aura finalement été celui qui aura permis le retour de la Lega au gouvernement.

A n’en pas douter, la législature italienne 2018-2023 – si tant est qu’elle parvienne à son terme ce qui est loin d’être évident – restera comme l’une des plus étranges dans l’histoire politique récente des pays Européens. Elle aura débuté par le premier gouvernement populiste du monde occidental sous la forme d’un partenariat entre les anti système du M5S et l’extrême droite de la Ligue avec, à sa tête, celui qui était censé n’être qu’un notaire chargé de l’application du contrat entre les deux partis, le juriste Giuseppe Conte. Une année plus tard, nous assistions à un renversement d’alliance assez spectaculaire de la part du Mouvement 5 Etoiles qui, lâché par la Lega, négociait avec le Parti Démocrate et Italia Viva de…..Matteo Renzi la formation d’un nouveau gouvernement toujours dirigé par le même Conte qui, entre temps, avait gagné une certaine stature politique. A tel point que devenu ensuite l’homme politique le plus populaire du pays, Conte suscitera la frustration de Renzi qui s’efforcera d’obtenir sa tête, prenant comme prétexte des désaccords politiques, ce dont personne ne fut réellement dupe. On se retrouve ainsi à l’Acte III de la comédie absurde : un gouvernement de (très très !!) large entente autour de Mario Draghi. Même si comparaison n’est pas raison, c’est un peu comme si la France se retrouvait subitement avec un gouvernement dirigé par Christine Lagarde dans lequel cohabiteraient des ministres issus de Générations, le Parti Socialiste, La République En Marche, Les Républicains et le Rassemblement national, voire La France Insoumise si l’on considère qu’une partie du Mouvement 5 Etoiles est assez proche de cette ligne politique.

Le fait que le Mouvement 5 Etoiles soit finalement l’unique dénominateur commun entre les trois gouvernements qui se sont succédés depuis 2018 ne constitue d’ailleurs pas le moindre des paradoxes. Rappelons que ce mouvement avait pour credo initial le renversement de la « caste politique » et un rejet total du système des alliances : par conséquent, dire que ce parti s’est quelque peu institutionnalisé au contact du pouvoir est un doux euphémisme. A l’image du très opportuniste Luigi Di Maio qui sera parvenu, grâce à de multiples louvoiements, à obtenir un grand ministère dans chacun des trois gouvernements. Il est cependant possible que le Mouvement 5 Etoiles finisse par payer sa stratégie de caméléon : les sondages sont nettement orientés à la baisse et 40% des militants rejettent l’entrée du Mouvement au sein du gouvernement Draghi, faisant peser le risque d’une scission avec le départ d’Alessandro Di Battista qui pourrait être suivi par un certain nombre de parlementaires. Il est également à noter qu’hormis la reconduction de Luigi Di Maio, les cadres du Mouvement sont quelque peu déçus par les portefeuilles obtenus, amplifiant ainsi un certain mécontentement.

Renzi, quand à lui, échappe au pire, du moins pour le moment. Le fait d’avoir été vilipendé quasi unanimement comme un simple opportuniste capable de déclencher une grave crise politique en pleine pandémie pour de simples convenances personnelles sera sans doute en partie atténué par la popularité initiale du nouveau Premier Ministre Mario Draghi. On voit cependant mal ce qu’il pourrait gagner à moyen terme : son parti, Italia Viva, n’a obtenu qu’un portefeuille assez mineur et le périmètre très large sur lequel repose la nouvelle coalition renverra immanquablement Italia Viva à son statut de petit parti, bien loin de l’influence disproportionnée que les chiffres lui donnaient dans la précédente majorité. Au final, Matteo Renzi aura sans doute scié la branche sur laquelle il était assis.

Mais l’évènement restera bien évidemment le grand retour de la coalition de droite au sein du gouvernement. En ce qui concerne Forza Italia, ce n’est finalement pas très étonnant. Mais personne ne s’attendait réellement à ce que la Lega de Salvini intègre le gouvernement Draghi. Ce ralliement s’est effectué au prix d’une incroyable métamorphose d’un Matteo Salvini se présentant soudainement comme un européen convaincu et un homme d’état conciliant, ouvert au pragmatisme. Certes, il est difficile en tant que pro européen de regretter le fait que même Salvini ai finalement trouvé son chemin de Damas mais la ficelle parait un peu trop grosse pour être sincère. En réalité, on peut supposer que la stratégie de Salvini est de se bâtir une nouvelle stature d’unificateur : appartenir à un gouvernement d’union nationale constitue, pour la Lega, un passeport suprême de « normalisation » susceptible, aux yeux de Salvini, de lever les réticences à son encontre, bref de rassurer l’électorat plus centriste et d’élargir ainsi son potentiel en vue des prochaines élections. Evidemment, le risque existe également de ne pas être suivi par son électorat le plus radical : c’est d’ailleurs le calcul du parti néo fasciste de Meloni, les Fratelli d’Italia, seule force majeure d’envergure à avoir choisi l’opposition en espérant ainsi contrer la Lega sur sa droite. Mais le fait est que si Meloni apparait comme une rivale interne pour Salvini, l’ensemble de la coalition de droite peut bénéficier du fait de n’avoir pas, comme le dit l’expression, mis ses œufs dans le même panier. La droite et l’extrême droite apparaissent donc plus que jamais comme en position de force en vue des prochaines élections.

Car ne nous leurrons pas : au-delà de l’expérience Draghi que l’on espère voir réussir pour le bien de l’Italie, chacun des acteurs est bien conscient qu’il ne s’agit que d’une parenthèse et que l’on est déjà entré dans la nouvelle phase qui mènera au scrutin de 2023, voire probablement avant lorsque la coalition hétéroclite connaitra ses inévitables soubresauts. Et que si les forces opposées à l’extrême droite sont incapables de s’organiser, le successeur de Draghi s’appellera Salvini ou Meloni. La direction du Parti Démocrate en est convaincue, elle qui demande depuis quelques jours à ce que les liens entre les partis issus de la coalition sortante soient maintenus. Reste à savoir si cet appel sera entendu, entre un Mouvement 5 Etoiles potentiellement divisé et un parti de Renzi qui s’est aliéné peut être durablement ses anciens alliés. Il sera également intéressant d’observer quelles seront les intentions du Premier Ministre sortant, Giuseppe Conte, resté extrêmement populaire : fondera t-il un nouveau parti ? Cherchera t-il à briguer le leadership des 5 Etoiles ? Restera t-il indépendant afin de demeurer un potentiel candidat commun d’une coalition qui réunirait la gauche et les 5 Etoiles lors du prochain scrutin ? Affaire à suivre…

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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5 Commentaires

  1. Il me semble que cette analyse surévalue les antagonismes personnels et passe sous silence la question du plan de relance que l’immobilisme de Conte risquait de mettre à mal pour l’Italie qui doit bénéficier d’une importante manne européenne. De ce point de vue, l’arrivée de Draghi rassure les Européens et la conversion (?) de Salvini et autres populistes à l’UE montre que leur démagogie a échoué sur le mur des réalités.

    • Bonjour,

      Vous avez raison, le plan de relance de Conte était tout à fait contestable et certaines critiques de Renzi à son égard étaient fondées. Mais si il n’avait été question que de cela, il est très probable que les négociations visant à l’améliorer auraient abouti. Or la surenchère de Renzi par la suite a bien montré qu’il souhaitait en fait tout faire sauter, notamment en exigeant le recours au MES qu’il savait être un casus belli. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Renzi a décidé ensuite de soutenir Draghi sans condition et cela alors même que le MES ne fait pas partie du programme du nouveau gouvernement.

      D’autre part, on peut fort bien considérer que Draghi est plus expérimenté et donc mieux à même que Conte de gérer l’arrivée des fonds européens. Mais le fait est qu’au cours des négociations, Italia Viva avait laissé filtrer le nom de Di Maio comme possible Premier Ministre, laissant à penser que c’était bien la détestation de Conte le problème et non le désir de Draghi. Sans vouloir manquer de respect à Di Maio, on va dire qu’il est loin d’être l’homme d’état le plus brillant du pays et donc qu’à cet instant, la compétence ne semblait pas être le critère numéro un pour Renzi.

      Tous ces éléments me laissent donc à penser que ce sont bien les raisons personnelles qui ont principalement guidé l’attitude de Renzi et que le reste était surtout un prétexte.

  2. Analyse aussi éclairante que dense.

    Effectivement, on ne peut être convaincu de la sincérité d’une soudaine conversion à l’UE d’un personnage comme Salvini. Les extrêmes portant la trahison avec eux, finissant toujours par trahir leurs mandants. Ce qui est bien la moindre des politesse, après tout.
    Si « super Mario » inspire réellement la confiance, au vu de l’instabilité politique, récurrente, maladive même, de l’Italie, il devra être intégré, bien malencontreusement, suivant le principe de réalité, régulateur, combien de temps, va-t-il tenir. (en 70 ans, plus de 60 exécutifs ont valdingué; c’est un fait) ?

    Cette question est d’autant plus cruciale, à l’heure où l’UE va s’apprêter à y déverser plus de 200 milliards d’€uros – dont 79 milliards de subventions. On comprend déjà un peu mieux la soudaine et opportuniste conversion de ce type, Salvini.

    Alors si après une énième crise politique, qui va tôt ou tard, se produire, inéluctablement, c’est dans les gènes de son personnel politique, l’UE (au regard de l’argent de la collectivité qu’elle engage), que ça plaise ou non, se doit d’avoir, l’imputabilité de border, drastiquement les conditions de ses financements.

    Entre la toute confiance, béate, et une méfiance, éthique, il ne faudrait pas que ce nouveau « goûter « politique italien, ne finisse par nous laisser un éventuel arrière goût très, très amer.
    Mieux vaut prévenir que guérir.

    Et si le malade, finalement ne veut pas guérir….pas d’acharnement non plus.

  3. N’est pas Machiavel qui veut !
    Dans les décisions, les choix politiques, il y a toujours des analyses différentes, mais il ne faut pas négliger les choix, les évolutions personnelles: positives, opportunistes.
    Je rejoins S Poupon, sur la personnalité de Matteo Renzi, n’oublions pas la manière à la hussarde, avec laquelle il a fait son putch dans le parti démocrate pour « débarquer » Enrico Letta Président du Conseil, qui n’avait pas démérité, mais qui n’avait pas, il est vrai, les mêmes méthodes brutales. Je ne vois pas de grande différence avec ce bis repetita pour Guiseppe Conte.
    Ces actes personnels sont toujours préjudiciables, Enrico Letta est un grand Européen, et on ne peut que convenir avec lui, sur le titre de son livre: « Faire l’Europe dans un monde de brutes » en 2017.
    Nos étudiants de l’école des affaires internationales de Sciences-Po, dont il est depuis septembre 2015 le Doyen, ne peuvent que sans féliciter !

    Gilles Escala

    Faire l’Europe dans un monde de brutes
    Enrico Letta
    Ed: Pluriel

  4. Renzi est un lobbyiste financé par des multinationales (y compris des multinationales de l’agrochimie) et par des fonds d’investissement américains. Il se dit «de gauche» mais sa politique est néolibérale. Un personnage louche et opportuniste qui sait bien agir.

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