Coup d’état constitutionnel en Pologne

Depuis sept ans, la Pologne traverse un coup d’Etat constitutionnel qui viole gravement la conception européenne de l’Etat de droit. Les pressions diplomatiques ont échoué. Désormais, les quatre institutions politiques de l’UE et la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) sont activement engagées dans une bataille judiciaire pour contrer les provocations politiques polonaises. 

La Pologne est aujourd’hui concernée par un nombre sans précédent d’affaires pointant « l’existence de déficiences systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Une vingtaine en quatre ans.

Le tournant s’est produit en 2015, lorsque le parti national-conservateur Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), présidé d’une main de fer par Jarosław Kaczyński, a remporté successivement deux élections majeures, la présidence polonaise avec Andrzej Duda et le Sejm (chambre basse du Parlement), obtenant ainsi la majorité dans les deux chambres et devenant le premier gouvernement à parti unique depuis la fin du communisme en 1989. Le gouvernement dirigé par Beata Szydło a procédé à des réformes judiciaires au sein du tribunal constitutionnel, provoquant une première crise politique autour de la nomination de cinq juges.

Dans les années suivantes, des réformes législatives majeures ont troublé l’organisation de la Justice et surtout une série de lois approuvées en 2017 : la modification du rôle du Conseil national de la magistrature (Krajowa Rada Sądownictwa, KRS) dans le contrôle du pouvoir judiciaire, l’invalidation de la nominations de juges au tribunal constitutionnel, l’habilitation du ministre de la Justice en tant que procureur général lui conférant un rôle disciplinaire sur les présidents de tribunaux, la mise à la retraite obligatoire de certains juges ou encore la création de chambres disciplinaires à l’encontre des juges et des tribunaux. Le défi pour l’UE consiste à empêcher tout contrôle politique sur les décisions judiciaires en Pologne. 

Des sanctions européennes peu efficaces

En 2021, les chambres disciplinaires ont finalement été qualifiées de manquement aux obligations de l’UE par la Cour. Non sans résistance, la Pologne a été contrainte de les supprimer sous peine de payer une astreinte journalière d’un million d’euros. Si le gouvernement polonais s’est conformé à cette décision, le nouveau système disciplinaire est toujours critiqué. Dans le rapport de 2022 sur l’État de droit, la Commission européenne demande toujours à la Pologne de séparer la fonction de ministre de la Justice de celle de procureur général afin d’éviter toute ingérence du gouvernement dans les poursuites judiciaires.

La Commission européenne a bien tenté d’inciter le Conseil à adopter une décision sur la base de l’article 7 UE pour violation des valeurs de l’Union européenne que sont « le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et le respect des droits de l’homme ». En vain, requérant l’unanimité du Conseil européen, elle n’a jamais pu être adoptée en raison du soutien intéressé de la Hongrie. Les mouvements populistes en Europe ont ainsi réussi à former de nouveaux types de gouvernements eurosceptiques qui mettent à mal l’État de droit et la primauté du droit européen, sans pour autant sortir de l’Union européenne. Tout le dilemme est là. Les conserver dans l’UE sans y être compatibles. 

Pour dépasser l’impasse politique, la Cour de justice de l’Union européenne a poursuivi le débat en s’ingérant dans l’organisation judiciaire nationale, chasse pourtant gardée des Etats. La CJUE se fonde sur leur obligation d’assurer des voies de recours suffisantes aux ressortissants européens. La saga polonaise a commencé en 2018 lorsque la Cour a bloqué l’émission d’un mandat d’arrêt européen de l’Irlande vers la Pologne, considérant qu’il existe « un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable » (affaire LM). Depuis cette affaire, la Pologne est confrontée à une série ininterrompue d’actions judiciaires et de mesures provisoires sanctionnant les atteintes à l’indépendance de la Justice. 

En guise de réponse provocatrice, un conflit supplémentaire concernant à la primauté du droit de l’UE a émergé du Tribunal constitutionnel polonais par deux décisions du 14 juillet 2021 et du 7 octobre 2021, dans lesquelles il a considéré que l’ingérence de la CJUE dans la structure organisationnelle et le fonctionnement des tribunaux polonais « est incompatible avec la Constitution » …  A son tour, la Commission européenne a engagé un nouveau recours en manquement contre ces décisions. L’affaire sera prochainement audiencée devant la Cour. 

L’introduction d’un régime de conditionnalité pour percevoir les fonds européens

Afin d’empêcher les États membres de commettre des infractions potentielles au droit communautaire, l’UE a introduit un concept de conditionnalité pour l’attribution des fonds européens. La Pologne étant le plus grand bénéficiaire net des fonds de l’UE, la suspension des subventions de l’UE pourrait s’avérer être un outil efficace pour l’inciter à respecter l’État de droit. 

En 2020, après d’âpres négociations (la Pologne, la Hongrie et la Slovénie s’opposaient à l’application de la conditionnalité au cadre financier pluriannuel pour 2021-27 et à l’initiative « Next Generation EU »), l’UE a adopté un nouveau règlement sur un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union prévoyant la suspension, la réduction ou l’interruption des engagements financiers en cas de violation des principes de l’État de droit dans trois cas :
– M
ise en danger de l’indépendance du pouvoir judiciaire
– Absence de prévention, de correction ou de sanction des décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques
– Limitation de la disponibilité et de l’efficacité des recours juridiques. Les tentatives de la
Pologne et de la Hongrie d’annuler ce règlement devant la Cour ont été rejetées. 

Diplomatie, sanctions ou exclusion ?

Quelle attitude l’UE doit-elle arborer ? Les options sont pieds et mains liées à l’expression démocratique polonaise. La première option consiste à poursuivre la pression actuelle basée sur la diplomatie et les actions judiciaires de l’UE. Les résultats après sept ans sont très critiqués. La deuxième option pourrait consister à intégrer dans les traités des critères plus détaillés sur la primauté du droit et des valeurs de l’UE. La troisième option serait de modifier l’article 7 UE pour dépasser l’unanimité au Conseil européen, voire même d’inclure une procédure d’exclusion des Etats membres dans le même esprit que l’article 50 UE. Les prochaines élections législatives du 11 novembre 2023 seront décisives pour l’agenda politique et judiciaire de l’UE. 

Faute de trouver une solution politique acceptable, la Cour a endossé le rôle du père fouettard. Le dernier exemple flagrant a été l’approbation du plan de relance national de 35 milliards d’euros pour la Pologne par la Commission européenne le 1er juin 2022 et le Conseil le 17 juin 2022. En dépit du manque de bonne foi du gouvernement polonais, la Commission européenne « a cédé, sans aucune raison valable, son influence cruciale sur l’État de droit en Pologne ». Les quatre principales organisations européennes de juges ont derechef engagé un recours en annulation contre cette décision, considérant que l’UE viole la décision même de la CJUE de ne débloquer les fonds de relance et de résilience que si la Pologne respecte l’Etat de droit.

La saga est loin d’être terminée…

Aurelien Raccah
Aurelien Raccah
Maître de conférences - Université catholique de Lille (FLD) Avocat en droit international et européen - ELEA AVOCAT

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17 Commentaires

  1. Connaissez-vous vraiment la Pologne ? L’Allemagne a fait pire il y a quelques années sous le mandat de Angela Merkel et la classe politique n’a rien dit ni fait. Loin de moi l’idée bien sûr le pouvoir polonais, mais soyons justes tout de même !

    • Qu’a donc fait « de pire » Angela Merkel? Personnellement, je ne vois guère de points de comparaison avec les décisions du gouvernement polonais sur le plan de la démocratie.

      • Elle a juste laissé cramer un délégué syndical de Volkswagen lors du Dieselgate par exemple au nom de la rentabilité et du profit de l’Allemagne….Les nazis lui ont cramé sa baraque avant de le finir en barbecue dans sa voiture… Je suppose que c’était une volskwagen, vu qu’au niveau des normes antipollution, ils ne respectent rien.
        En France, on a Viry-Châtillon, Omar m’a tuer, les chevaux mutilé, Dills, Outreau, les paillottes, le rainbow warrior… ou toutes les exactions commises par notre organisation criminelle au service de l’état que l’on appelle armée…. pas de regrets, pas de remords, pas d’enquête, pas de coupable… On avance comme un seul homme. tant que ça profite au RN ou aux vieux connards nostalgiques de la gloriole passée. Ils peuvent se glorifier et se congratuler, ils se sont comportés comme des putes… Ca fait partie de notre héritage.
        Bamboula le disait bien, ça manque pas d’air.. Entre sévice et service, il n’y a qu’un R de différence.
        La justice ? Ah…… Mais tout le monde s’en bat les couilles de la justice. En France c’est pareil… Pourquoi croyez vous que comme les hôpitaux elle est juste à l’état de ruine ?
        Confiance dans la justice ? Mais elle est vendue de partout…. puisque tout est à vendre de partout.
        Ca n’existe pas la justice… ni en France ou en Allemagne, ni en Europe et encore moins dans le reste du Monde.

        • Coup d’état en Allemagne….
          Manquerait juste les merdes d’identitaires de France et de navarre avec l’aide des fils de pute de militaires du RN de France, de Putin qui a crevé nos chevaux, de Zemmour et de Qanon…
          Manque encor Mbappé, le parlement Européen et le Qatar….
          Au royaume des fils de pute je voudrais…

          • Tout est à vendre…. Même Jeanne d’Arc ils l’ont vendue nos identitaires… et les garants de notre identité

  2. Loin de moi l’idée bien sûr de défendre le pouvoir polonais, mais soyons justes tout de même !
    Oups j’ai oublié le verbe !! Désolé…

  3. Bonjour.

    Ce qui se passe en POLOGNE et ailleurs d’après le commentaire de Monsieur SANCHEZ prouve bien que le fonctionnement de l’UE pose problème, c’est même un risque pour la démocratie.
    Heureusement que dans ce cas, la CJUE est là.

  4. Pour en savoir plus lisez Wojciech Sadurski Poland’s Constitutional Breakdown, Oxford University Press, 2019 et A Pandemic of Populists, Cambridge University Press, 2022. Quand à la remarque de Juan Antonio SANCHEZ, je serais vraiment curieux de savoir à quoi il se réfère: en quoi l’Etat de droit aurait-il été affaibli pendant le mandat d’Angela Merkel???????

  5. L’article de Maître Raccah décrit judicieusement une situation et ses péripéties juridiques liées à la timidité de certaines institutions dans l’application du droit européen… et, comme le souligne fort à propos Mylord, « heureusement que la CJUE est là ».

    Par comparaison, je souhaiterais ajouter une observation découlant d’une expérience vécue au niveau des relations extérieures de l’UE (certes, ce n’est pas le cadre interne de l’Union): à savoir la détermination dont la Commission et le Conseil ont fait preuve en présence de violations des libertés, des droits humains et de l’Etat de droit dans des pays en développement avec lesquels l’Union a conclu des accords de coopération – tels que la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, le Burundi ou Fidji. Dans ce cadre, le recours à la suspension de l’aide n’a pas suscité, c’est le moins que l’on puisse dire, d’ ‘émouvants états d’âme.. Faut-il en conclure que la morale de la fable selon laquelle « selon que vous serez puissant ou misérable… » conserve toute son actualité ?

    • A mon humble avis, on peut « en conclure » que la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, le Burundi et Fidji ne sont pas des Etats Membres de l’EU.

      Ce qui se passe en Pologne et Hongrie menace certes les Polonais et Hongrois (qui ont voté démocratiquement pour un pouvoir illibéral et hyper-corrompu) mais encore tout le reste de l’UE, donc la paix en son sein !!!

      Il est légitime que cela fasse des remous chez nous et que les Etats Membres non encore submergés par le tsunami national-socialiste mondial s’en alarment.

      Cordialement, JPS

      • Je n’ai sans doute pas été suffisamment clair dans mon commentaire, dont l’objectif était de montrer que l’on serait parfois tenté d’appliquer deux poids et deux mesures en fonction de l’appartenance ou non à l’UE.
        Il s’avère en effet apparemment plus facile de sanctionner des pays en développement que de le faire à l’égard d’un Etat membre de l’Union.
        Cela dit, je souscris bien volontiers à votre observation face au risque d’une contagion qui menace de frapper l’Union au-delà de la Pologne et de la Hongrie.

  6. Il est aussi possible de se poser la question différemment. Suite à la guerre en Ukraine, la Pologne, qui est en première ligne, est entrain de signer de multiples contrats d’armement avec les US et la Corée du sud : avec les États-Unis 4,9 milliards d’euros pour 250 chars Abrams et 4,6 milliards de dollars pour 32 chasseurs F-35. Avec la Corée du sud : 180 chars K2 Black Panther, 200 obusiers K9 Thunder, 48 avions d’attaque légers FA-50 et 218 lance-roquettes K239 Chunmoo, le tout pour 10 à 12 milliards de $. Effort sans précédent alors que l’Europe essaye toujours de se mettre d’accord sur une armée commune. La question pourrait donc aussi être « Dans quelle mesure l’Europe veut-elle financer un bouclier à sa frontière russe ? »

    • Bonjour Raphaêl 78.

      Etes vous sûr que l’Europe veuille mettre en place une armée commune ?

      Je crois qu’on veut nous le faire croire alors que dans les faits rien ne se produit de vraiment concret, ce sont des gesticulations et rien d’autres.

      Ceux qui exercent un pouvoir au niveau européen sont les vassaux et les serviteurs des USA, je voudrais connaître les avoirs qu’ils ont dans les paradis fiscaux, ce sont pour moi des corrompus, les faits le prouvent.

      Si elle le voulait vraiment, elle commencerait à le faire avec les pays les plus motivés, les autres suivraient par la suite car elle sait très bien que la règle de l’unanimité bloque tout et elle en profite pour ne pas avancer.

      De plus, si vous additionnez les dépenses que font tous les pays européens pour leurs défenses, je suis à peu prés certains qu’elles sont bien supérieures aux sommes que dépenseraient l’Europe pour sa défense si elles étaient mutualisées.

  7. Il semble évident que ces 35 millards ont été accordés à la Pologne afin de poursuivre la guerre du « camp du bien « contre celui du mal absolu.. Autrement dit pour continuer l’annexion en profondeur de l’Europe aux intérêts anglo-saxons tout en poursuivant du mieux qu’on peut la destruction balkanisation de la Russie. Pauvre Europe, en train de se couper en deux, de se faire hara-kiri. Quand se réveillera-t-elle ? Elle n’ose même pas se plaindre qu’on lui est fait peter NordStream .. L’Allemagne a meme déclaré savoir qui était les coupables mais ne pouvoir le dire pour des raisons de sécurité.. Et après on veut encore nous faire rêver de cette Europe là . Ce conflit a mis en évidence à quel point l’UE était un instrument d’asservissement aux intérêts anglo-saxons. Les américains sont en train de nous la mettre profond avec du gravier dedans et personne dans l’U.E ne proteste. Pour les USA c’est mission accomplie , le cauchemar d’une Allemagne se rapprochant de la Russie est enfin dissipé. Bien joué ! Mais malgré la grossière propagande qui entoure tout cela, le peuple européen n’est aussi dupe qu’on pourrait le croire. Il se pourrait bien qu’il commence à se demander : mais qui sont ces pantins qui nous dirigent et qui sont incapables de défendre nos intérêts, notre souveraineté, notre économie, nos industries, notre accès à l’énergie , l’indépendance des médias etc etc.. et qui à grand coup de
    moraline et de mensonges sont en train de nous livrer pied et poings liés à l’ogre américain dans ses derniers spasmes d’hégémonie mondiale. L’Union Europe est à refonder de À à Z , de Brest à Vladivostok.

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