Ambiance tendue en Italie

Si l’heure était déjà au pessimisme au moment de l’annonce de la convocation d’élections générales anticipées en Italie, le moins que l’on puisse dire est que la situation ne s’est guère améliorée lors de la seconde étape du processus électoral à savoir celle de la composition des alliances. Comme on le sait, le mode de scrutin italien favorise particulièrement les coalitions, d’où l’intérêt de réunir les ententes les plus larges possibles afin de maximiser le nombre d’élus. Force est de constater qu’à ce petit jeu, l’extrême droite a su parfaitement tirer son épingle du jeu. Loin d’être effrayé par le rapport de force très favorable aux deux partis les plus radicaux, le centre droit n’aura finalement créé aucune difficulté pour accepter ce rôle secondaire qui lui est désormais dévolu. Devant la perspective de la victoire et la possibilité d’obtenir des maroquins ministériels, les considérations morales passent malheureusement rapidement au second plan. Toutes proportions gardées, la coalition dite de « centre droit » ressemble à s’y méprendre à une NUPES de droite avec une extrême droite particulièrement hégémonique. Concession symbolique mais qui a néanmoins son importance, la leader présumée de la coalition Giorgia Meloni a pour la première fois condamné de manière ferme et explicite l’idéologie fasciste. Il est évidemment difficile de juger du degré de sincérité de Meloni qui, on le rappelle, a débuté sa carrière politique au sein du MSI, mouvement qui était encore à l’époque ouvertement nostalgique du régime de Mussolini. Cet aggiornamento ne doit également pas faire oublier le fait que certains élus des Fratelli ont exprimé encore très récemment des positions ambiguës – pour ne pas dire plus – vis à vis du fascisme. Cette condamnation reste toutefois une bonne chose pour la démocratie italienne. Mais quand bien même elle ne serait plus « néo fasciste », Giorgia Meloni a démontré encore récemment être pleinement d’extrême droite en participant en Espagne aux cotés de Vox – eux-mêmes suspects de néo franquisme – à un meeting aux relents homophobes. Et ses positions extrêmement dures concernant l’immigration ne sont plus à démontrer.

Face à cette coalition, la seule chance de victoire des progressistes passait évidemment par la mise en œuvre d’une alliance large, allant si possible de Renzi à Fratoianni. Elle semblait d’autant plus accessible que, contrairement à ce qui se passe à droite, la force dominante de cette coalition aurait été la plus centrale en interne à savoir le Parti Démocrate, d’obédience social-démocrate. Et si Matteo Renzi rejetait immédiatement cette idée, son compère libéral Carlo Calenda était quand à lui rapidement parvenu à un accord avec le Parti Démocrate. De son coté, ce dernier signait avec l’alliance Rouge Verte. Malheureusement, Calenda a dénoncé cette alliance trop large à son gout, préférant déchirer son contrat avec le Parti Démocrate pour former un Troisième pôle libéral avec Matteo Renzi. Ce rejet est assez incompréhensible si l’on considère que l’alliance Rouge Verte est loin d’être extrémiste (l’équivalent en France serait un rassemblement allant de Générations à EELV en passant par le PCF): pour l’essentiel, la gauche radicale à la Jean Luc Mélenchon forme en Italie le pôle de l’Union Populaire – ca ne s’invente pas – qui concourt de manière indépendante et pèse environ 1% des voix. Si l’on ajoute à cela un Mouvement 5 Etoiles au positionnement à nouveau erratique, les forces opposées à l’extrême droite partent relativement divisées. Il est donc illusoire de viser la victoire et l’objectif, plus modeste, est maintenant de réunir suffisamment de voix – et d’élus!!! – pour empêcher la coalition de droite d’obtenir une majorité lui permettant de gouverner.

Bien évidemment, le Troisième Pole a une autre lecture d’analyse. Selon Renzi et Calenda, la présence d’une force centriste est le seul moyen de reprendre des voix à la droite puisque permettant d’attirer une partie des électeurs de Forza Italia qui verraient d’un mauvais œil la perspective d’un gouvernement Meloni. En théorie, ce n’est pas un mauvais calcul, d’autant plus que le Troisième Pole est effectivement parvenu à débaucher deux anciens ministres issus du mouvement de Silvio Berlusconi. Ce serait même assez intelligent si le scrutin se jouait à la proportionnelle intégrale. Mais dans la pratique, les effets de la loi électorale annihilent largement tout gain potentiel. Matteo Renzi et Carlo Calenda paient également le prix de leur impopularité – ils sont, avec Luigi di Maio, les leaders politiques ayant la cote la plus négative – ainsi qu’un certain nombre de prises de positions déroutantes, notamment lorsque Calenda a appelé Meloni à former un gouvernement d’union nationale en cas de victoire de la coalition de droite. Or, si Calenda suggère qu’il est possible de gouverner avec Meloni, il devient lui-même un VRP de la dédiabolisation.

De son côté, le Parti Démocrate a compris que la partie se jouait maintenant principalement sur les circonscriptions uninominales, estimant qu’il devait en remporter une soixantaine pour priver la droite d’une majorité. Raison pour laquelle Enrico Letta appelle à un vote utile en faveur du PD et attaque aussi bien le Troisième Pole que le Mouvement 5 Etoiles. C’est assurément la bonne stratégie dans le contexte actuel mais, pour l’instant, les choses ne semblent guère aller en sa faveur. Les sondages prêtent un score allant de 45 à 49% à la coalition de droite dominée par l’extrême droite, ce qui leur assurerait une confortable majorité. Pour réussir le pari d’empêcher la droite de gouverner, il faudra regagner 4 à 5 points au minimum sur le scrutin de liste et maximiser le vote utile dans les circonscriptions uninominales. Ce qui ne sera pas une mince affaire….

Et si la dernière carte à jouer s’appelait Mario Draghi? Super Mario est la seule personnalité « politique » à surnager dans un océan dévasté, demeurant très largement le plus populaire du pays. Depuis quelques jours, un certain nombre de voix au Troisième Pole mais également au sein du Parti Démocrate ne cessent d’alimenter la petite musique selon laquelle l’absence d’une majorité parlementaire pour la droite aboutirait immanquablement à une solution Draghi. Ce dernier a choisi de ne pas s’exprimer mais il n’a rien exclu. Assurément, dans un contexte présidentiel, les Italiens plébisciteraient Draghi face à Meloni: la présidentialisation du régime voulue par Forza Italia ne ferait pas forcément les affaires de la droite. Mais (ré)élire Draghi par défaut et sans qu’il soit candidat, il n’est pas certain que les Italiens mordent à l’hameçon.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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