« Unie dans la diversité », et démunie dans l’adversité ?

La devise européenne aurait pu servir de sujet au baccalauréat de philosophie, à l’heure où commencent les épreuves pour les lycéens français. Jusqu’à quel point, au nom du respect de la liberté d’expression, peut-on ou doit-on accepter certains comportements ?

Cette épineuse question, sur laquelle se sont piquées bon nombre de plumes depuis les attentats du 11 janvier, pourrait à nouveau revenir sur le devant de la scène pour une toute autre raison : la création d’un nouveau groupe au Parlement européen, mardi 16 juin, par les membres de partis eurosceptiques, europhobes, voire plus si affinités.

Ce nouveau groupe parlementaire, appelé « Europe des Nations et des Libertés » (douce ironie quand on étudie un tant soit peu les principes de ses pères fondateurs, voire ses mères fondatrices), sera co-présidé par Marine Le Pen et Marcel de Graaff, du parti PW néerlandais. La présidente du Front National français, élue au Parlement européen en mai 2014, n’avait pas réussi à constituer une formation politique à Strasbourg l’an passé en dépit du succès remporté par son parti. En effet, il est nécessaire de rassembler au moins 25 eurodéputés issus de sept pays différents pour pouvoir former un groupe, et Marine Le Pen s’était heurtée aux dissensions opposant son parti aux autres formations politiques d’extrême-droite d’Europe.

Notons que Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du Front National, son acolyte Bruno Gollnisch et l’altruiste Aymeric Chauprade ne font pas partie du groupe. Propos négationnistes, antisémites, voire aberration historique (rappelez-vous le charmant amalgame réalisé par l’ancien conseiller international de Marine Le Pen entre les nazis allemands et les musulmans) semblent ne pas faire bon ménage avec le souci d’exemplarité prôné par ce nouveau groupe. Souci illustré par les membres de l’Europe des Nations et des Libertés (sic) : le Parti de la liberté autrichien (FPÖ), la Ligue du Nord italienne, le Vlaams Belang flamand (Belgique), mais également une Britannique exclue du parti UKIP – en raison de dépenses que sa mémoire a oublié de justifier – et deux Polonais issus du Congrès de la Nouvelle droite, réputé pour ses positions sur le rétablissement de la peine de mort. Comprenant ainsi les fameuses sept nationalités, pour un total de 36 eurodéputés, il s’agira du huitième et plus petit groupe siégeant au Parlement européen.

Au programme ? C’est une bonne question, il est sans doute tôt pour se prononcer. Accordons-leur le bénéfice du doute, mais il y a fort à parier que l’islam, l’immigration et la dissolution de la zone euro seront à l’ordre du jour.

Pourquoi donc, demanderez-vous, pourquoi donc « entrer » dans l’engrenage d’un système pourtant si décrié par Mme Le Pen ? Probablement parce que la candidate « anti-système » souhaite être mieux représentée dans l’enceinte européenne et peser davantage dans la balance des décisions prises. De fait, former un groupe parlementaire octroie la possibilité de disposer d’un temps de parole accru lors des sessions plénières, être mieux positionné pour avoir des membres dans les commissions parlementaires, avoir des assistants plus nombreux et (surtout) prétendre à certains financements. Avoir des assistants supplémentaires semble superflu, au vu des soupçons de fraude qui planent le Front National depuis que le Parlement européen a saisi l’Olaf (Office européen de lutte anti-fraude) en mars dernier, au sujet de vingt assistants parlementaires frontistes officiellement employés – donc payés – par l’institution européenne, mais dont le lieu de travail déclaré est Nanterre, donc au siège du parti.

Passons – les petits arrangements entre amis font les meilleurs compromis, ce groupe en est d’ailleurs la preuve institutionnelle – et revenons aux financements. Lorsqu’un groupe se constitue, il peut se voir attribuer plus de 17 millions d’euros pour les quatre années de mandat parlementaire qui restent à ce jour. Enveloppe financée par les impôts des contribuables européens.

Les dramaturges français verseraient des larmes d’amère satisfaction face à tant de paradoxes : un parti rejetant fermement tout conformisme qui forme un groupe parlementaire. Donc qui devient un représentant emblématique du fonctionnement politique traditionnel. Un groupe parlementaire européen qui souhaite l’abolition de la zone euro, le retour des frontières et affiche son attachement à la préférence nationale, au droit du sang (thème que Nicolas Sarkozy, président des « Républicains », a repris à son compte). Des impôts versés par les citoyens européens pour financer un parti europhobe.

La devise européenne est, et doit rester, le principe fondateur sur lequel repose l’Union européenne. Celui-ci est certes mis à mal, mais n’en perd pas pour autant son sens : le récent congrès du Parti Socialiste Européen a d’ailleurs adopté en écho une résolution intitulée « Unis pour la démocratie ». Lutter contre les extrémismes, par un travail de lobbying, de sensibilisation, d’information, et (re)construire une société participative, respectueuse des droits de l’Homme afin de rester « unis dans la diversité », sont les défis que chaque citoyen européen se doit de relever aujourd’hui.

Solen Menguy

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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4 Commentaires

  1. Dura Lex ses Lex
    Le FN utilise les moyens du PE dans les règles du PE
    Rien à dire sur la méthode
    Quant au FN lui même, cette tribune ne mérite pas qu’on en parle. Le parti des Atrides est égal à lui même.

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