Pax Europeana en Lybie

Au bout d’un gros mois de guerre, le premier bilan des événements de Libye est clair : l’Europe s’est absolument ridiculisée. Incapable de la moindre unité diplomatique, sa capacité à mener une guerre contre une puissance de quatrième rang se trouve sérieusement remise en question.

Un fiasco diplomatique européen

Comme hier la nécessité d’intervenir en Afghanistan, la nécessité d’une réponse au massacre par Kadhafi de sa propre population faisait l’objet d’un relatif consensus mondial. A preuve, la résolution passée au Conseil de l’ONU était la plus forte expression du devoir d’ingérence jamais formulée, avec l’abstention favorable des Russes et des Chinois qui sont pourtant fermement opposés à cette logique potentiellement dangereuse pour eux. Alors que les pays européens ont beaucoup à se faire pardonner des peuples du Maghreb, c’était l’occasion d’une prise de position claire des institutions européennes.

Passons sur la contribution au débat du Président du Conseil européen et de la « Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » qui n’a pas l’air de se sentir méchamment concernée par cette affaire (il paraît qu’il y a par là une crise humanitaire et que l’Union européenne est déterminée à faire des choses là-dessus, dès qu’on s’est mis d’accord avec plein d’autres gens). Le cœur du réacteur européen, l’Allemagne, s’est opposée publiquement à l’opération militaire et a déclaré qu’elle n’y prendrait pas part. D’autres pays ont fait les mêmes remontrances en privé, et se contentent d’une solidarité minimale sous la forme de ravitaillements.

Le désaccord porte en particulier sur le contenu de la mission militaire, et la manière dont elle a été définie. L’annonce conjointe par BHL et Nicolas Sarkozy de l’intervention de la France sans consultation des partenaires a largement refroidi les enthousiasmes, un certain nombre de pays européens ayant peu d’envie de s’associer à ce qu’ils ont perçu, certainement à tort, comme une opération électorale de la part d’un président impopulaire candidat à sa réélection. Le flou qui a suivi le vote de la résolution à l’ONU sur les modalités d’emploi de la force n’a pas amélioré les choses. L’imprécision de sa rédaction permettait d’envisager des frappes au sol, qui étaient de fait nécessaires pour empêcher les chars et l’artillerie lourde d’écraser et de massacrer les insurgés, mais cette option n’avait pas dans un premier temps été discutée. Ne parlons pas de l’arrivée de troupes au sol…

L’opération militaire : le ridicule ne tue pas

Une fois le ciel nettoyé, les américains ont annoncé qu’il se retiraient des opération de frappes (dont ils ont assumée les deux tiers). Il ne disparaissent pas heureusement et nous laissent des AWACS et des avions ravitailleurs, sans lesquels nous éprouverions quelques difficultés. C’est donc l’Europe de la défense face aux troupes de Khadafi, et on sait déjà qu’on se dirige vers une décision aux points au 41ème round plus que vers un KO.

Qui participe ? Les Suédois et les Danois ont mis en ligne chacun six appareils, mais pour assurer le respect de la no fly zone uniquement uniquement, ce qui n’est pas trop fatiguant maintenant qu’il n’y a plus d’avion en face. Les norvégiens ont le droit tirer sur les aéroports, mais ils n’ont plus de cible légitime non plus. L’Italie a effectué plus d’une centaine de survols de la Lybie (à une altitude confortable), mais sans avoir trouvé d’occasion de tirer pour l’instant ce qui fait naître de vilains soupçons de commedia dell’arte chez ses alliés.

Restent la Grande-Bretagne et la France, avec une vingtaine d’appareils chacun. L’eurofighter britannique a tiré la première bombe de son histoire en Lybie, mais l’expérience a été peu rééditée par la suite car il n’est pas vraiment calibré pour les opérations air-sol. Le reste de la flotte britannique, qu’on hésite à appeler le gros de la flotte, commence à souffrir fortement d’un âge avancé, qui limite quotidiennement le nombre d’appareils disponibles. Heureusement, la France a le Rafale qui est une avion très bien, mais on en a pas beaucoup et on a pas non plus formé assez de pilotes, donc on est limités à moins d’une vingtaine de sorties par jour.

Sauf qu’il y a de moins en moins de sorties, pas faute de carburant (ça a failli arriver, mais on a eu du ravitaillement pour trois mois il y a quinze jours), mais parce que la « coalition » n’a plus de munitions. La France a tiré tous les beaux missiles SCALP qu’elle avait en stock, avec une telle portée qu’on pouvait faire décoller les avions depuis Lille, ce qui est quand même plus sûr. Mais on a aussi quasiment terminé nos A2SM qui nécessitent quand même de s’approcher à 50km de la cible (en partant de la Corse ou du Charles de Gaulle), donc ça devient vachement dangereux.

L’armée française a donc eu une idée géniale qui permet de continuer la guerre : tirer les munitions d’entraînement ! Elles fonctionnent comme les vraies, sauf qu’il n y a pas d’explosif dedans. Le calcul est simple : certes ça pète pas, mais un pavé de 250kg lancé depuis 50km fait quand même mal quand il touche sa cible. On ne sait si il s’agit d’une appropriation par nos cerveaux militaires des techniques anti-crs des manifestants ou bien d’un retour à la tradition des bons vieux boulets de canon en fonte qui marchaient pas si mal au temps naguère, et qu’on adapte à la guerre aérienne.

Cette inefficacité aérienne n’est pas temporaire : elle est le résultat direct de la manière dont l’Europe de la défense a été abordée, ou non abordé depuis trente ans. Chaque grand pays a privilégié son système d’armements national et donc de munitions embarquées. En conséquence, l’échelle critique de production qui permet une production de masse n’a jamais été atteinte. Chaque armée achète un gros stock de bombes, produit à l’occasion par ses industriels nationaux. Puis les chaînes de production sont démontées, parce qu’on ne va pas les conserver plusieurs années sans commande. Donc pour réapprovisionner nos avions, il faut déjà reconstruire les chaînes de productions dans les usines, ce qui ne se fait pas dans l’instant. Les USA évidemment ont des industriels capables de fournir à la demande… mais nos avions ne peuvent pas utiliser leur matériel.

La Pax Europeana

Nous nous retrouvons donc dans la situation diplomatico-militaire suivante : partis pour éviter un désastre humanitaire, nous sommes pris dans une guerre visant à évincer Kadhafi du pouvoir, sans aucune idée de la manière dont on le remplace. Nous avons la maîtrise de l’air, sauf qu’elle a perdu beaucoup de son intérêt. L’artillerie lourde et les chars de Kadhafi ne peuvent plus traverser le désert pour s’en prendre aux rebelles. Les rebelles, qui sont comme une poule devant un œuf quand on leur donne une arme, ont peu de chances de traverser le désert dans l’autre sens pour éliminer le tyran. Pour l’instant, s’est donc instaurée en Libye une drôle de guerre, une sorte de Pax Europeana, où on se tue un peu mais pas trop.

Faut-il préciser que nos partenaires américains sont assez médusés de notre incapacité à mener plus d’un mois une guerre qu’on qualifie pour être très poli de « basse intensité » ?. Ils s’interrogent, peut-être pas illégitimement, sur le type de guerre auquel nous nous sommes préparés et se demandent si nous nos achats d’armes n’ont pas pour but principal de donner une vitrine d’exportation à nos industriels. Mais bon, il nous reste les SAS et la Légion. Depuis le temps que nous réclamons un commandement européen au sein de l’OTAN en échange de l’entrée de la France au commandement intégré, autant dire que nos chances d’en obtenir un s’éloignent désormais….

Tout ceci remet sur le devant de la scène la question d’une défense européenne, pour de simples questions budgétaires. En calant devant un adversaire qui n’est pas formidable, les armées européennes viennent de faire la démonstration cruelle qu’après avoir perdu son indépendance stratégique en 1956 à Suez, l’Europe ne dispose désormais même plus d’une indépendance opérationnelle.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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