Matthias Fekl : « L’Europe joue son âme »

Concernant la France et l’Allemagne, on a l’impression que chaque pays s’enfonce dans ses propres soucis, terrorisme d’un côté, crise des réfugiés de l’autre. Ce sont des problèmes qu’il faut traiter au niveau européen, mais il n’y a pas d’approche europénne.

En 2016, l’Europe joue son avenir. Elle joue aussi son âme, par sa capacité d’accueillir dignement des réfugiés qui fuient les massacres de monstrueux assassins dans leurs pays. Ils cherchent l’asile qui est une tradition commune de l’Europe. Elle joue aussi son avenir dans sa capacité de garantir la sécurité de ses citoyens et de ses frontières.

L’Europe doit aller au-delà de l’économie?

Au début, elle n‘était pas conçue pour traiter des questions que je viens d’évoquer. C’est à l’Europe de se réinventer sur ses bases-là. Il y a un travail franco-allemand important là-dessus: aujourd’hui (mercredi), Bernard Cazeneuve participe d’ailleurs à la réunion du cabinet allemand, c’est un symbole fort. C’est ensemble que la France et l’Allemagne ont obtenu de nombreux résultats. La réforme du code Schengen, la mise en place de ces hot-spots qu’il faut conforter, la réforme de Frontex. S’il n’y avait pas eu l’extraordinaire confiance franco-allemande, nous n’aurions pas obtenu ces résultats.

Est-ce que la France ne devrait pas accueillir plus de réfugiés pour alléger le fardeau de l’Allemagne?

Il faut que chacun prenne sa part, et que les décisions soient prises ensemble, en commun. Un Etat seul ne peut pas décider de manière efficace et opérationnelle. La France y prend toute sa part. Nous sommes d’ailleurs en première ligne dans un autre domaine, comme la lutte contre le terrorisme.

Quand vous dites “l’Europe joue son âme dans la question des réfugiés”, cela implique que ce n’était pas déraisonnable d’accueillir les Syriens?

L’Europe se fonde sur des valeurs, des principes, Habermas parlerait peut-être même de patriotisme constitutionnel. Dans ces références constitutionnelles, qui s’imposent presque comme un droit supérieur, il y a l’asile et il y a l’accueil. On voit bien les craintes et difficultés que cela suscite dans nos sociétés. Mais c’est l’honneur de l’Europe que de savoir relever ces défis.

Les projets pour renforcer l’Europe passent trop par l’économie?

Il faut un renforcement de la zone Euro, on le dit depuis des années, mais ça reste vrai. Seulement – un projet politique n’existe durablement que s’il est ancré dans le « cœur des citoyens ». J’ai proposé un service civique européen : chaque jeune devrait avoir le droit avant ses 18 ans de passer six mois dans un autre pays européen. En quelques années, on aurait ainsi créé une génération des jeunes européens, de tous les milieux sociaux, qui auraient une expérience concrète de l’Europe. Nous sommes dans une année où il faut porter beaucoup de projets concrets, parce que la fin de l’Europe que nous connaissons depuis 70 ans est possible. Il ne faut pas laisser les anti-européens taper tout le temps sur l’Union Européenne.

On parle beaucoup des contradictions entre le premier ministre, le ministre de l’économie et vous, c’est un problème pour le gouvernement?

La ligne du gouvernement est fixée par le président et le premier ministre, et par personne d’autre. Maintenant, qu’il y ait des sensibilités différentes, heureusement ! ce serait sinon un gouvernement technocratique sans profondeur historique, culturelle, politique.

 

Interview donnée Par Matthias Fekl, Ministre du Commerce extérieur, le 26 janvier 2016 à Handelsblatt

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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22 Commentaires

  1. Je suis écoeuré par l’Europe. Autrefois un grand fan, maintenant tellement déçu, aucune coordination ensemble (finances, lobbying, immigration, …) je commence à devenir anti européen, mais nous devons tous e x i g e r de cette Europe qu’ils travaillent ensemble pour toutes ces questions très urgentes et de survie !
    manifestons sinon notre europe sera foutu!

  2. Bravo pour cette analyse. En ce moment plusieurs intervenants suggèrent comme thérapeutique du dysfonctionnement européen un « noyau dur » qui serait essentiellement une zone euro avec un fonctionnement démocratique et une représentation citoyenne. Il y a des variantes, la proposition de Thomas Piketty dans le Monde du 20/12/dernier ou bien la proposition d’Enrico Letta (voir par exemple http://www.feram.org/page.asp?ref_arbo=2609&ref_page=10516). Qu’en pense Matthias Fekl?

  3. L’UE aurait une âme ? L’UE n’est pas une communauté de valeurs. Ce n’est qu’une communauté d’intérêts, et encore uniquement quand il y a des intérêts communs. Dans cette UE, il y a de plus en plus de murs de béton ou de barbelés qui illustrent une réalité : il n’y a pas de peuple européen. On n’a pas fait cette UE pour les peuples qu’on met en concurrence les uns contre les autres. On avait cette UE pour le patronat. On lui a offert un élargissement qui lui permet de délocaliser vers le pays pratiquant le moins disant fiscal, social et environnementale. Et Fekl est celui qui négocie le Tafta, où là, c’est l’âme de la France qu’on va vendre aux USA. Comme on vient de vendre l’Education nationale à Microsoft. Moi aussi, j’y ai cru. Mais j’en suis revenu quand je vois tout ce qui s’est fait depuis 2005. Il faut unir les peuples qui le veulent, mais sur une seule base : le respect absolu de la souveraineté populaire.

    • Hélas oui, l’UE n’est qu’une communauté d’intérêts. Cependant, un peuple européen a commencé à exister avec l’effacement relatif des frontières et le succès de programmes fédérateurs tels que Erasmus qui devrait s’ouvrir aux apprentis. (bien que l’éducation ne soit pas une compétence européenne). Nombreux sont aujourd’hui les jeunes (et moins jeunes) qui n’hésitent pas à se définir comme « européens ». Il faut faire évoluer radicalement les institutions européennes, recadrer la commission et lui retirer les prérogatives décisionnelles en matière de concurrence notamment qui lui ont été abandonnées. Et bien sûr, se lever pour faire capoter l’odieux accord de libre échange transatlantique promu par les lobbyistes auprès de leurs vassaux politiques des deux côtés de l’Atlantique.

      • Continuons cet échange. Ce ne sont pas les frontières qui font un peuple et le peuple européen ne peut pas surgir de la seule suppression des frontières. Un peuple, c’est une histoire commune, un vouloir vivre commun, une langue et une culture communes. On ne créera pas artificiellement un peuple européen. J’applaudis à des programmes comme Erasmus. Mais il ne faut pas confondre plaisirs des échanges avec sentiment d’appartenance commune. Nous fondre dans un amalgame avec pour seul lien l’anglais et le business, c’est un projet qui va susciter le réveil des pires nationalismes. On ne peut pas attendre de l’UE la chose et son contraire. L' »UE, les traités le prouvent, est faite pour le secteur privé, pas pour les peuples. A preuve, après nous avoir fondu dans un ensemble sans autre horizon que le concurrence de tous contre tous, on veut maintenant nous fondre dans un marché unique euro-américain dont les seuls bénéficiaires seront les entreprises multinationales des deux côtés de l’Atlantique. Pas les peuples.

        • OK, les frontières, le territoire même,
          ne suffisent pas à faire surgir un peuple. Et les mots aussi ont une histoire.
          La définition que vous évoquez est très exactement celle proposée par Georges Burdeau pour expliquer le sentiment de solidarité unissant les individus dans
          leur volonté de vivre ensemble, sentiment à l’origine de « l’être national »(La nation, rêve d’avenir partagé, « Droit constitutionnel et institutions
          politiques éd.1969). Sur le caractère presque exclusivement économique (néolibéral)
          de l’UE, je partage votre analyse : j’ai apprécié votre livre « Europe la trahison des élites » qui dénonce les consensus néolibéraux de droite comme de gauche. Mais est-ce une raison suffisante pour jeter la construction européenne aux orties ? N’est-elle pas indépassable ? réformable ? (sans optimisme béat…).

          • Tout dépend de ce qu’on entend par « construction européenne » dont Pierre Bourdieu disait qu’elle était avant tout une destruction sociale. S’il s’agit de l’UE, j’en suis arrivé à la conclusion, en examinant ce qui s’est passé de 2005 à 2015 qu’elle n’est pas réformable. J’ai été réformiste de l’UE. Mon livre « Quelle Europe après le non ? » (Fayard, 2007) propose une série de réformes pour rendre l’UE aimable. Mais tout ce qui a été décidé depuis 2005 va dans le sens d’un renforcement du caractère a-démocratique et anti-social de l’UE. Je suis favorable à unir le peuples d’Europe. J’estime même cela indispensable. Mais avec les peuples. Pas sans eux ou contre eux. D’abord, unir ceux qui le souhaitent et confirment ce souhait par référendum (on ne nous a rien demandé en 1957, ni en 1986 – il n’y a eu de référendum qu’au Danemark et en France en 1991et dans les seuls France et Pays-Bas en 2005) et ensuite en protégeant absolument la souveraineté populaire. Je suis hostile à toute construction supranationale, antidémocratique par nature.

    • Avalez ça et buvez un verre d’eau. Le traité transatlantique finira par se faire et l’Europe sera vraiment ce que les Américains veulent qu’elle soit. Et avec Donald Trump à la tête de tout ça, on va bien rigoler. Encore une décennie et le salaire minimum tombera à 100€, les indemnités chômage auront disparu, les heures sup seront obligatoires quand nécessaires pour l’entreprise et pas payées en surplus, la journée de 10 heures une normalité et des millions de chômeurs supplémentaires qui imploreront un petit boulot mal payé.

      • Impossible d’avaler ça ! Je ne me résigne pas. La servitude volontaire, très peu pour moi. A propos de Trump, s’il est bien difficile de connaître son programme (en a-t-il un ? ), moi qui suis de très près la vie politique aux USA (il est toujours utile de bien s’informer sur ce pays qui entend continuer à dominer le monde), j’entends les commentateurs dire que Trump serait plutôt dans la tradition isolationniste et pas du tout favorable aux accords de libre-échange du type PTCI/TTIP (Tafta comme on dit en France). A vérifier bien entendu. Ce qui ne le rend pas acceptable pour autant, j’en conviens. Il est par contre certain que si la mère Clinton l’emporte, elle voudra imposer le Tafta dans sa version la plus pro-US, elle qui s’est réjouie de constater que le Tafta, « c’est la branche économique de l’OTAN ».

  4. La priorité que fixe à toute entreprise publique et donc à l’Europe c’est que le plus grand nombre de ses habitants vive épanoui. Que dire d’une Societe ou une Tres petite minorité est gavée d’argent à ne pas savoir comment l’utiliser pendant qu’une majorité qui pourtant travaille ne peut plus vivre sereinement et avec fierté. Il faut arrêter de faire une Europe basée sur l’ultra libéralisme . Par exemple j’approuve fais une politique publique qui dissuaderait de raisonner au delà d’une hierarchie des revenus par individu calée entre 1 et 20 // si le smic est à 1000€ le plus haut revenu doit être contenu à 20 000€ // et .

  5. si le ministre Fekl est celui qui ose négocie le TAFTA, comme lu plus bas, je trouve cela bizarre que de la bouche de ce monsieur on parle de renforcement d’union entre les pays et d’âme européenne, car ce traité est le détricotage des valeurs et fondements de notre Europe.
    Toujours plus d’Europe pour l’intérêt de quelque uns et quand il y à des crises c’est l’Europe des simple citoyens qui doivent se mobiliser et se serrer la ceinture.
    comme le dis si bien Etienne Chouard, » tous ce passe comme prévu », nos pays et l’Europe nous saigne pour des bonnes causes ou pour des raisons « évidentes » de survie dans le grand marché. Que les riches continuent à se gaver, voilà la priorité de l’Europe, le reste c’est du vent dans un parodie de démocratie.
    mais bon ,un jour je me lèverai de ma chaise et je ne me rassiérai que quand tout aura changé. Je le ferai pour mon fils.
    merci

    • D’accord avec vous Daniel. Il y a un moment où « trop, c’est trop ». Nous ne voulons pas une Europe prix nobel de la violence économique, nous voulons une Europe où le peuple peut s’exprimer politiquement. Dans le cas contraire, le peuple va entrer en résistance et nos « élites » devront s’attendre à toutes les réactions potentielles de sa part.

    • Bonjour Daniel, je suis un des animateurs de la campagne contre le TAFTA. Je suis l’auteur d’un livre sur le sujet. Mathias Fekl est secrétaire d’Etat au commerce, en charge du dossier de l’accord UE-Canada, de l’accord UE-USA et d’une négociation visant à aller plus loin en matière de privatisation totale de toutes les activités de service.
      Tout cela sans le moindre souci de transparence. Quand on sait ce que le gouvernement français soutient dans ces négociations, on ne peut qu’être horrifié. raison du secret qui entoure ces négociations.Et dont je parle dans toutes mes conférences.

      • Ces dernier temps, de nombreux ouvrages, plus ou moins convaincants, ont effectivement été publiés au sujet du Traité transatlantique, parfois pour, souvent contre. Aussi doit-on reconnaître qu’ils ont au moins le mérite d’avoir instauré un débat sur le contenu et les objectifs d’un dossier particulièrement sensible.

        Certes, comme j’ai déjà eu l’opportunité de le souligner à plusieurs reprises ici même, il n’est pas contestable que la Commission ait commis quelques maladresses au niveau de son action initiale de communication à ce sujet: sans doute le fait d’une Direction générale du Commerce autrefois plus prestigieuse et qui s’est singularisée par d’autres dérapages tels que, lors de la révision de l’accord de Cotonou entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, la greffe d’un volet commercial peu cohérent avec les préoccupations de développement comme raison d’être de cette relation. Impérialisme de l’OMC, quand tu nous tiens…

        Cependant, comme je l’ai aussi évoqué récemment (commentaire sous l’article « La directive qui fâche » du 9 février), la Commission s’est, depuis lors, efforcée de redresser la barre en mettant en oeuvre des initiatives répondant à un plus grand souci de transparence: ceci, en particulier, sous l’impulsion de la commissaire au Commerce, Cecilia Malmström, qui a souhaité agir en ce sens dès sa prise de fonctions à l’automne 2014. On peut à cet égard se reporter au site de la Commission sous la référence
        ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/about-ttip/index_fr.htm

  6. Je suis désolé, je vais encore apporter la contradiction.

    En effet, je lis : « Il faut un renforcement de la zone Euro, on le dit depuis des années, mais ça reste vrai. » alors qu’en ce moment même, les économistes s’alarment des signes de divergence explosifs qu’ils constatent !…

    Bien entendu, et comme d’habitude, pas un mot dans les médias.

    La plupart des économistes – les vrais – considèrent que notre monnaie commune (et non pas unique) est bancale. L’explication est simple : on ne peut pas faire une économie commune entre des sociétés économiquement différentes. Mais les « initiateurs » de la construction européenne l’ont fait, en prenant le pari qu’à forcer la monnaie, on imposerait la convergence des économies. Pari perdu…

    Cela a deux conséquences graves :
    – l’euro n’est adapté à aucune de ces économies. Trop faible, en particulier pour l’Allemagne, trop fort pour la plupart des pays du sud, ce qui entraîne leurs économies vers l’asphyxie et c’est le cas de la France.
    – les déséquilibres se retrouvent dans les échanges entre banques centrales. La Deutsche Bank est gavée de milliards d’euros sur-évalués qui la fragilisent, tandis que les détenteurs de capitaux des pays du sud n’en finissent pas de lui envoyer leurs euros, pour les transformer en euros allemands.

    Ce n’est donc certainement pas le moment d’expliquer doctement qu’il faut « un renforcement », comme certains médecins qui préconisaient encore une saignée à leur malade anémié.

    Pour en savoir plus, je vous recommande l’explication plus approfondie qu’en donne un ancien économiste de la BCE, spécialiste de l’euro et des questions monétaires (article du 16 février) : http://www.upr.fr/?p=31496

  7. Donc il est ministre, et il paye son billet avec ce commentaire idiot sur la richesse de la controverse au sein du gouvernement.
    Objection petit politique, les avis peuvent etre differents lors de la discussion qui elabore l’action – si discussion il y a ? – mais ensuite le gouvernement n’a pas droit au couac, bien que le couac soit le marqueur des gouvernements sous Hollande.

    Bravo! Sauvons l’Europe, ce forum devient le bac à sable des nonnistes! Je lis des commentaires aussi calamiteux et faux qu’en 2005, la meme violence infondee, et l’inculture generale.
    J’adore les considerations economiques (et les vrais economistes?), et les raisonnements et commentaires syllogiques.

    « Je ne suis pas raciste, j’ai un ami noir » vs
    « J’aime l’Europe, pas cette Europe »
    Meme Etienne Chouard!

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