Les médias tireront-ils les leçons des européennes?

A l’heure où certains considèrent à juste titre que l’Europe pourrait être une solution pour relancer la croissance en France (ce qui sous entend que parallèlement la France remplisse ses engagements), il n’est pas inutile d’appeler l’attention de nos concitoyens sur un des exercices les plus démocratiques qui existent.

« Bruxelles », qui pour beaucoup serait la cause de tous nos maux, excuse facile de nos gouvernements successifs et défouloir aussi et surtout des extrêmes peut parfois donner des leçons de démocratie. A condition de les entendre et donc de pouvoir les écouter.

La Commission considérée par essence comme antidémocratique par nombre de nos concitoyens qui ne savent souvent pas comment elle est désignée, ne l’est pas entièrement. En effet, si elle n’est pas élue (pas plus que ne l’est un gouvernement), elle est composée de 28 membres désignés par les gouvernements des 28 états démocratiquement élus et qui vont être soumis au Parlement européen démocratiquement élu au suffrage universel dans chacun des pays.

C’est l’article 17 qui soumet les candidats au feu des parlementaires -ou tout au moins ceux qui participent à l’exercice- qui n’est de loin pas de pure forme puisque le Parlement européen a déjà troublé la nomination de la Commission européenne. Lors de la précédente investiture de la Commission européenne, l’incompétente commissaire désignée Roumania Jeleva avait vu le chemin barré pour le poste de commissaire à la coopération. Durant les 3 heures d’audition, les parlementaires membres des commissions concernées avaient cherché à évaluer le niveau de compétence de la candidate commissaire, mais aussi les valeurs qu’elle défendrait au sein de la Commission européenne.

Sa situation personnelle et en particulier son patrimoine avaient été abordés avec de réelles demandes de clarification. L’absence de réponse jointe à des faiblesses, avait clairement conduit à son rejet, rejet qui avait déjà existé pour Rocco Butiglione 5 ans plus tôt. Désigné par Silvio Berlusconi et pressenti au poste des libertés civiles, le candidat avait essuyé les critiques des parlementaires sur des prises de position incompatibles avec les fonctions qu’il allait exercer.

Pendant la précédente mandature, le commissaire maltais John Dalli avait dû démissionner pour le non respect allégué par le président Barroso des règles de la Commission sur la directive tabac. La procédure de contestation qu’il a intentée est en cours. Mais, lors de son audition comme candidat, son passé très proche de l’industrie et ses a-priori avaient fait l’objet de réserves qui n’avaient pourtant pas conduit à son rejet, en raison du soutien du groupe politique auquel il appartenait. Cette démission individuelle exigée du président est un cas différent de celui de 1999 où c’est la Commission Santer dans son ensemble qui avait démissionné pour éviter le vote de censure du parlement.

Car, si la Commission en entier reçoit une investiture en début de mandat, elle reçoit un quitus annuel des parlementaires européens, qui doivent exercer leur mission de contrôle des instances européennes. C’est ainsi que certaines agences après un refus de quitus ont enfin commencé les réformes indispensables mais encore très timides pour réduire les conflits d’intérêt.

Pour une parlementaire française, habituée à déplorer une version minimale, voire l’absence de contrôle parlementaire sur l’exécutif, la pratique des auditions européennes que le Parlement européen fait subir aux candidats commissaires est très surprenante. Imaginons que certains ministres français soient obligés de passer devant les députés pour obtenir le portefeuille convoité et qu’il soit passé au grill de leur compétence et de leurs valeurs.. Pour certains, les casseroles qu’ils trainent depuis de nombreuses années et pour d’autres leur parfaite incompétence seraient rédhibitoires.

Pour mener l’audition, les parlementaires reçoivent les curriculum vitae et les déclarations d’intérêts financiers des commissaires désignés. Ils adressent des séries de questions écrites en amont de l’audition publique qui dure trois heures devant la (les) commission(s) parlementaire(s) compétente(s) pour les portefeuilles qui leurs sont attribués. Les commissions parlementaires procèdent à une évaluation et à des questions écrites complémentaires à l’audition.

Pour y avoir activement participé lors de la dernière mandature, avoir assisté à l’audition de 10 candidats commissaires, je puis témoigner du sérieux et de la profondeur des débats. La Conférence des présidents transmet les résultats des auditions à la Commission. Le président de la Commission vient présenter le collège et son programme de travail devant le Conseil de l’UE et le Parlement. C’est à la fin de cette procédure que le Parlement européen procède enfin à un vote d’approbation de la Commission européenne dans son ensemble. La Commission se soumet alors au vote du Conseil européen.

Cette longue procédure donne la légitimité démocratique à la Commission européenne. Cette légitimité de fait qui existe au sein des institutions devrait pouvoir être diffusée au sein de la société.

Malheureusement, hormis peut être l’audition du commissaire désigné français, l’audition des 26 autres commissaires européens, et donc du fonctionnement démocratique de la Commission et de son programme de travail pour les 5 ans à venir, va passer totalement inaperçu en France.

Quelle chaine de télévision diffusera les auditions des commissaires? N’est- ce pas le rôle des chaines parlementaires? N’est-ce pas une information qui mériterait d’être diffusée sur les chaînes d’information en continu? Le journal de 20h n’a-t-il pas 2 minutes au lieu des traditionnels faits divers qui captent régulièrement la moitié du journal? Comment peut-on dire quand on est journaliste que l’Europe est lointaine quand on ne la traite pas? Ces auditions quand on a des parlementaires efficaces sont de véritables outils pédagogiques, loin de la langue de bois.

La retransmission de ces débats permettrait aussi de juger de l’implication des députés français, de leur poids dans cette discussion fondamentale sur le choix des personnes et leurs orientations politiques majeures. En particulier, avec 1/3 des députés français au Parlement européen, la délégation du front national ne pourra que prouver qu’elle ne sert strictement à rien si ce n’est à affaiblir l’influence française dans les institutions.

Oui l’Union européenne est un espace démocratique qui connaît les travers du lobbying et des jeux d’influence. Mais pour que la démocratie puisse fonctionner, il faut que les parlementaires exercent réellement leur mission de contrôle. Au-delà, il faut aussi que les médias assument leur immense pouvoir et ne se limitent pas à la simplicité des petites phrases politiques. Le choix des « ministres » de l’Europe pour 5 ans que sont les Commissaires devrait être une excellente occasion de démontrer que les médias ont compris la leçon des européennes.

 

lepage

 

 

Corinne Lepage – @corinnelepage

 

 

Article publié initialement sur le Huffington Post, le 2/09/14

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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26 Commentaires

  1. démocratie, Mme Lepage ? quand on nous sort de je ne sais quel
    boîte à malice un Miguel Canete qui se dépêche de revendre ses
    parts dans des compagnies pétrolières avant de supposément s’occuper d’environnement ? C’est bien vous qui écrivez cela ?

  2. On sait bien que pour sauver l’Europe, la première chose à faire, c’est de dénoncer Maastricht. Voici 41 ans qu’on essaie de faire l’Europe, et on n’y arrive pas. A se poser la question si Corine Lepage a un cerveau ? Il est vrai que la première chose qui a été faite pour déstructurer les citoyens, c’est de leur enseigner la Primauté aux émois, et non à l’intelligence. Ce qui a pour effet de vouloir gérer le pays avec les émois. Et on est étonné de l’arrivée massive d’écolos infantiles. C’est pour cela que l’Ecologie reste dans la petite enfance. Quand ces gens retrouveront la primauté à l’intelligence, on pourra espérer s’en sortir.

    • Monsieur, peut-être vos idées sont-elles valables … Mais la façon dont vous parlez de Mme Lepage en demandant si « elle a un cerveau » me paraît inopportun. Sommes-nous obligés, nous, citoyens, de tomber aussi bas dans l’expression de nos idées que ne le font les politiques?

    • Bonjour Pierre Bellanger, vous avez raison sur le traité mortifère.
      Quant au « cerveau  » de Mme Lepage, vous ne posez pas la bonne question. Et vous le savez. Et ce n’est d’ailleurs plus une question.
      Bien à vous

  3. « il faut aussi que les médias assument leur immense pouvoir  » écrivez-vous. Mais peut-être serait-il utile de les y inciter ?
    Le CSA n’a-t-il rien à dire sur les cahiers des charges des chaînes de télévision ?
    Dans le cas particulier des chaînes parlementaires françaises, la diffusion régulière de séances du Parlement européen (et notamment des auditions des candidat-e-s commissaires) ne pourrait-elle être de rigueur ?
    Si je suis informé d’une pétition ou d’une lettre à O. Schramek qui va dans ce sens, je promets de signer.

      • J’avais lu, merci.
        Vous demandez, exigez , une Propaganda nazional.
        Et alors ?
        Vous croyez que c’est faute de propagande que le nombre d’ europhobes explose ?
        Et quel est le problème pour que Mme Lepage s’agite ?
        Il n’y a plus « d’élections  » Europeennes, personne n’a son job menacé, les lobbies arrosent sans parcimonie, quel est le problème ?
        Tafta va passer sans consultation des peuples, les parlements seuls donneront leur aval sur la mise en coupe réglée des peuples. Tout baigne … Quel est le problème ?

  4. Surpris de ces commentaires désobligeants qui n’abordent pas le sujet qui est le manque d’information et le peu d’intérêt des Médias pour l’Europe.
    Les Médias sont suffisamment divers pour ne pas prêcher pour une seule paroisse.

  5. D’accord avec Mme Lepage .Pourquoi les médias en particulier télevisés passent la moitié du journal sur des faits divers sans nous tenir au courant de ce qui se passe d’important pour les citoyens .Serions nous pris pour des débiles?
    Par exemple la commission sur le grand marché transatlantique qui nous dépossederai de nos acquis sociaux sanitaires etc travaille dans le secret.Nous citoyens européens avons le droit de savoir démocratiquement ce qui se décide au niveau européen .Cette commission comme d’autres serait ‘elle aux mains des lobbies et des multinationales ?
    Nos médias seraient’ils aussi aux mains de cette hydre mondiale?

  6. a) Tout état à la Constitution qui définit une politique n’est pas démocratique.
    La libre concurrence est dans l’article 3 et l’article 4 du Traité
    instituant la Communauté Européenne (repris donc par tous les traités
    par la suite)
    Elle était dans de nombreux articles du Traité Constitutionnel
    Européen rejeté par la France, dont le fameux article « concurrence
    libre et non faussée »
    Elle est encore, sans cette expression, dans 32 articles du Traité de Lisbonne.

    Quand par écrit, la politique est écrite avant même qu’elle ait été
    votée par le vote démocratique, nous ne sommes évidemment pas en
    démocratie.

    L’objectif est de détourner sous des apparences de démocraties, la
    volonté populaire au profit d’une oligarchie, le Parlement Européen
    étant, c’est bien connu, le porte-voix des lobby (voir par exemple,
    enquête de Cash Investigation de la semaine dernière)

    b) La Commission n’est pas qu’un simple gouvernement. Il a aussi une
    préemption sur le résultat des votes.
    Il a ainsi pouvoir de remettre au vote un projet rejeté, qui doit être
    rejeté cette fois par une majorité qualifiée des 70% (c’est à dire que
    ce n’est pas 70% des votants mais 70% de l’ensemble des députés…
    étant donné l’absentéisme, cette majorité de rejet n’est pas
    atteignable) voire dans certains cas au 3/4, ou 4/5.

    Autrement dit sous couvert de démocratie, la Commission peut faire
    passer à peu près le projet qu’elle désire, du moment qu’il soit
    conforme aux traités.

    c) Elle me fait rire sur Dalli, c’est vraiment pas un exemple de
    démocratie ce qui lui est arrivé au contraire.
    La vérité est que cet homme de droite a été viré, par Barroso, parce
    qu’il gênait l’industrie du tabac, et à la demande de l’industrie du
    tabac
    Barroso et le chef de l’organisme de sécuité européen (j’en oublie le
    nom), ont accusé Dalli d’avoir rencontré des représentants de
    l’industre du tabac sans respecter la règle européenne d’en faire état
    publiquement.
    Et qu’il aurait demandé lors de ces rencontres de l’argent à
    l’industrie du tabac afin d’enterrer des lois anti-tabac.

    Or c’est faux:
    1) le combat anti-tabac, c’est le combat de toute la vie politique de Dalli.
    2) Il n’a jamais été présent aux réunions où on l’accuse d’être.
    Certes il n’a pas fait état que des collaborateurs y seraient, mais
    c’est une pratique habituelle que de ne pas évoquer les rencontres des
    collaborateurs. Seul doit être déclaré ses propres rencontres.
    Rencontres qui n’ont pas eu lieu puisqu’il n’était pas présent.
    3) En fait, des documents trouvés chez Philip Morris International
    (Marlboro etc..) montrent que c’est un plan pour le faire tomber, et
    qu’ils cherchaient à le faire de longue date. Ils ont demandé à
    rencontrer des collaborateurs. Puis ont transmis à Barroso et son
    organisme de sécurité (dont le fonctionnement adémocratique a été
    dénoncé par de nombreux rapports) qu’ils allaient rencontrer ses
    collaborateurs
    Pourquoi Barroso obéit au guet apens? Parce qu’en 2004, l’industrie du
    tabac a promis de payer des milliards pendant 30 ans à l’Union
    Européenne, officiellement pour faire amende honorable et éviter des
    procès.
    Mais c’est en fait un cheval de Troie: les milliards peuvent cesser,
    si la législation change. Barroso est donc aux ordres de l’industrie
    du tabac pour les garder.
    Par ailleurs, et Barroso a fui la question: il a rencontré lui aussi
    ainsi que ses collaborateurs, sans en faire état publiquement,
    l’industrie du tabac. Or c’est ce dont il a accusé Dalli.
    (Tout ce qui est évoqué là était montré dans Cash Investigation
    de mardi 7 0ctobre 2014 )

  7. Pour ce qui est de donner plus d’audience à la vie de l’UE, il me semble qu’il est plus réaliste d’attendre une action des chaînes parlementaires que des chaînes généralistes. De surcroît, c’est vraiment leur rôle de montrer les débats en question, plus que de les commenter. Pour avoir une vraie information et non pas des commentaires sur. Et des médias non pas comme un 5ème pouvoir manipulateur mais comme un outil au service des citoyens.

    • Les chaines parlementaires ont effectivement leur rôle à jouer, cela fait partie de nos propositions. Mais le débat politique européen doit se trouver là où les citoyens se trouvent.

    • Tiens oui, c’est bizarre… Ils apparaissent bien dans l’interface admin et n’ont pas été classé comme du spam par le moteur de protection. Et pourtant ils ne sont pas visibles sur le site? Je ne comprends pas bien et je vais aller chercher des lumières techniques sur ce point

      Merci de nous l’avoir signalé.

      • Je rajoute ici un des commentaires de Nicolas V auquel je réponds:
        « J’avais lu, merci.
        Vous demandez, exigez , une Propaganda nazional.
        Et alors ?
        Vous croyez que c’est faute de propagande que le nombre d’ europhobes explose ?
        Et quel est le problème pour que Mme Lepage s’agite ?
        Il n’y a plus « d’élections » Europeennes, personne n’a son job menacé, les lobbies arrosent sans parcimonie, quel est le problème ?
        Tafta va passer sans consultation des peuples, les parlements seuls donneront leur aval sur la mise en coupe réglée des peuples. Tout baigne … Quel est le problème ? »

        Nous avons déjà eu la discussion plusieurs fois et je m’étonne que nous reveniez toujours à cette idée fixe de propagande. Nous demandons une place pour le débat politique européen dans les médias, comme pour le débat politique national, avec les mêmes règles. Les anti-européens auraient parfaitement le droit de s’exprimer dans le cadre de l’égalité des temps de parole, totale ou proportionnelle aux votes. Nous ne voulons pas un flot d’info pro européen, mais un débat ente des responsables politiques européens Verts et UMP, par exemple.

  8. Excellent article de Mme Lepage. C’est un plaidoyer auquel je me suis également attelé à mon modeste niveau depuis quelque temps pour faire ressortir les mérites d’une procédure qui – si elle ne met pas entièrement à l’abri de certains dérapages limités – constitue un contrepoids démocratique à la responsabilité première des gouvernements nationaux dans la désignation des commissaires.

    Pour prendre une mesure plus large du profil de la nouvelle Commission, il n’est peut-être pas inutile de mentionner par ailleurs que, sur les 28 membres qui la composent, 26 ont eu une activité parlementaire au cours de leur carrière politique, soit dans les enceintes nationales soit au niveau du Parlement européen.

    En revanche, pour ce qui est de certains commentaires, si ce n’était pas aussi pathétique, il serait amusant de constater que les Dupont (tendance Aignan) et Dupond (tendance Lajoie) de l’europhobie – duettistes bien connus sur le site de « Sauvons l’Europe » – ont cette fois revêtu les habits de l’adjudant Kronenbourg et de son complice, immortalisés par Cabu dans « Le Canard » pour ressasser des propos de comptoir… qui n’ont même pas la profondeur des « brèves » souvent pratiquées autour de ce support de convivialité.

    Ma connaissance trop superficielle de l’histoire de la construction européenne m’incite par ailleurs à demander à l’un d’entre eux d’expliciter avec précision pourquoi il fait remonter à une quarantaine d’années le commencement des dérives de cette entreprise. En dehors d’un (peut-être malheureux) premier élargissement de la « CEE » et d’une conjoncture marquée par la crise de l’énergie et les séquelles de l’ « impérialisme » du dollar, je ne vois pas clairement à quoi il fait allusion. A première vue, j’observe que cette époque a entre autres coïncidé avec la pose de premiers jalons, même timides, d’une approche européenne de questions comme l’environnement ou la nouvelle impulsion donnée aux relations extérieures de la Communauté dont l’illustration sans doute la plus emblématique s’est traduite par une coopération accrue avec les pays en développement.

  9. Je suis tout a fait d’accord avec la thèse de l’article qui pointe la faiblesse de la conscience professionnelle des médias dont l’action devrait être portée à faire connaître le monde à ceux qui les écoutent. S’il est moins évident dans les médias papier de remarquer ce type de faiblesse, il est en revanche patent dans les médias télévisés. Il est choquant que les animateurs des émissions télévisées se dédouanent comme ils le font de toute responsabilité dans les annonces qu’ils font. Il est pourtant évident que leur responsabilité est engagée, d’une part dans le choix des sujets et de l’utilisation qu’ils font du temps d’antenne, mais encore par le degré d’informations qu’ils possèdent eux-mêmes pour épaissir la pertinence des informations présentées et échangées avec les invités de leurs émissions. Or, il ne semble pas qu’il y ait la moindre auto-critique des chaines qui toutes traitent avec autant d’insistance et de légèreté les mêmes sujets, et laissent tout autant de côtés des thématiques dont le citoyen prend connaissance par d’autres moyens (twitter en est un, les journaux papiers en est un autre). Qu’on se souvienne pour seul exemple du temps d’antenne occupé par les chaînes – en particulier les chaînes d’information qui s’apparentent davantage à des chaînes d’annonces – sur l’absence de nouveautés dans les recherches des restes de l’avion qui a disparu des radars dans l’océan indien. Quant à la légèreté de traitement, il semble qu’il soit plus dans les moeurs journalistiques de l’époque d’insister sur l’émotion provoquée par un évènement que sur ses causes et ses conséquences raisonnées. Un exemple est cette question posée par l’un des animateurs de journal télévisé les plus célèbres sur France 2 au premier ministre : « avez-vous été blessé [de la déclaration d’Arnaud Montebourg] » (citation libre). Dans une démocratie, il est indispensable que ceux qui prennent la responsabilité de fournir des informations aient un minimum de conscience professionnelle à prendre également la responsabilité de la manière dont il répartissent leur temps d’antenne, mais également du niveau minimum de raisonnement qu’ils exigent de leurs animateurs. Sans quoi le panorama restera uniforme quels que soient les canaux d’informations, et les questions du niveau de celles d’un enfant de maternelle.

    Mais il faut aussi relever la capacité d’action des responsables concernés, ceux qui prennent des responsabilités d’action, entre autres, vis à vis de ceux qui les leur ont données. Il s’agit en l’occurrence des responsables politiques français qui ont été élus par des citoyens français. Dans le périmètre de la France, le chef de l’exécutif est élu directement par les français, de même que les élus parlementaires. Le président élu rend régulièrement compte de ses actions à ses élus, et s’il ne le fait, il fait l’objet de critiques et de rappels à l’ordre insistants. Quant aux députés, ils sont régulièrement invités à se prononcer sur les orientations prises par l’exécutif dont ils ont validé les axes de travail.
    Concernant l’Europe, il en est bien autrement : les responsables élus par les français qui agissent au sein de l’Europe ne rendent jamais de comptes à qui que soit. Les quelques députés élus n’interviennent jamais que pour évoquer leur propre cas, ou au mieux la position de leur parti, français bien sûr. Ils n’interviennent jamais pour dessiner le panorama dans lequel ils interviennent à Strasbourg, et le président n’esquisse jamais à l’avance les décisions d’orientation qui oeuvrent à Bruxelles. Les français ont l’impression que l’UE n’est pas démocratique car ils n’ont aucun moyen d’action pour comprendre l’orientation que prend le groupe de pays dont fait partie le leur, et ils n’ont pas non plus de moyens de savoir quelles sont les forces à l’oeuvre et l’orientation qu’elles impulsent à l’organisation politique qui entraîne leur pays. Le parlement de Strasbourg est pourtant composé de groupes politiques : quand les politiques français nous parlent-ils de la ALDE, du PPE, du PSE ? quand les électeurs français sont-ils mis au courant des partenaires européens avec qui leurs élus conversent, échangent, forment des groupes de travail, à qui ils s’opposent, à quels courants d’influence au sein du parlement, de la commission ? avec quels politiques italiens, allemands, néerlandais, belges ou espagnols ils forment des projets qui seront défendus conjointement ? Ces informations ne parviennent pas aux électeurs qui se demandent bien pourquoi ils iraient voter pour des élus qui ne considèrent pas devoir leur rendre des comptes sur l’utilisation qu’ils font de leurs voix.
    De même, il faut noter l’obscurité qui règne sur les engagements européens du Président de la République, lui aussi élu directement et qui (quelle que soit l’époque et le président dont on parle), ne présente jamais l’Europe que comme une masse gigantesque qu’il promet à ses électeurs d’infléchir en faveur de la France, et non pas comme un ensemble politique organisé qui poursuivrait une ligne d’action, à la manière par exemple d’un programme électoral national. Comme s’il ne pouvait que s’opposer à ses homologues, comme si l’Europe était une arène ou chaque pays combattait les autres. Il semblerait pourtant que si les politiques français annonçaient les personnalités politiques étrangères avec qui ils s’accordent, les partis politiques étrangers desquels ils se sentent proches et ceux auxquels ils s’opposent, les groupes politiques qu’ils soutiennent, les idées que ceux-ci portent, le panorama des influences et des actions au sein des institutions européennes se préciseraient pour le citoyen.
    Prenons l’exemple des accords de libre échanges avec le Canada, avec les Etats-Unis. Ca y est, nous apprenons que le premier est signé : il n’y a plus qu’à le faire ratifier par le Conseil européen et le parlement de Strasbourg. Mais que contient ce texte, dans quel esprit a-t-il été rédigé, quels sont les articles défendus par les intérêts français, ceux qui ont été acceptés pour satisfaire les intérêts allemands, ceux qui complaisent aux souhaits canadiens ? Lorsque le tour viendra au parlementaires français à Strasbourg de le ratifier, les électeurs français – il faut le souhaiter – seront tenus informés de ce que contient le texte et de ce que leurs élus s’apprêtent à approuver ou à réprouver : toutes les informations seront projetées comme autant d’annonces sensationnelles sur lesquelles chacun devra se prononcer. Il faut s’attendre à ce que l’opposition dénonce des choix arbitraires favorisés par la majorité, que la majorité dénonce l’aveuglement de l’opposition, etc. Dès lors que faudra-t-il faire ? défiler dans la rue pour protester contre une urgence de ratifier un texte incompris ? ratifier un texte en faisant confiance ? mais à qui ? au Président de la République qui a mandaté avec ses homologues la Commission Européenne de prendre ce dossier en charge sans en informer ses électeurs ? aux commissaires qui ont travailler sur ce texte, mais qui sont inconnus des français, dont l’esprit de travail est inconnu, dont les motivations sont inconnues ? Il est difficile d’imaginer une méthode plus radicale pour éloigner des électeurs de responsables, et leur travail de l’adhésion de ceux-là. Cet exemple est particulièrement frappant de l’absence totale de visibilité des électeurs sur les travaux réalisés à Bruxelles et de l’apparence donnée d’une énorme machine qui travaille de manière autonome et la plus désordonnée qui puisse être. Qui la dirige, comment, dans quel but ? Nos responsables politiques semblent eux-mêmes l’ignorer et la machine leur échapper puisqu’ils ne sont pas en mesure d’anticiper à leurs électeurs les résultats de son travail.
    Enfin il faut un effort d’information conséquent pour prendre connaissance des influences qui portent un homme à la présidence de la Commission, pour deviner la nature des influences qui s’exercent au sein de Bruxelles entre les états européens pour nommer un responsable plutôt qu’un autre. Mais le citoyen français, lui, n’aucun moyen d’action sur ces choix, sur ces influences, qui bien souvent ont pour objet des personnalités politiques qui leur sont inconnnues. Que l’on mesure le degré d’ignorance des électeurs français – à qui l’on va demander de voter avec conscience et responsabilité à chaque prochaine élection – : Federica Mogherini fait l’objet de tension au sein de l’Europe. Ah, qui est cette personne dont les français n’ont jamais entendu parler. Du moins peut-on peut-être savoir à quel parti elle est affiliée : elle fait partie du parti démocrate italien. Ah parti démocrate… en France, ce serait le Modem, le PS ou l’UMP ? C’est le parti de Matteo Renzi. Ah bien, et quel est le groupe européen dont le Parti démocrate de Mateo Renzi fait partie ? Le PS n’indiquent jamais qu’il fait partie d’un ensemble, le PSE, que dans le PSE se trouvent des responsables politiques de telle tendance, et que la position du PS vis à vis de ce groupe est favorable, défavorable, etc. Ces informations doivent être recherchées, car elles sont totalement inconnues à l’électeur français. Dans ces conditions, et par absence d’informations, on ne peut qu’anticiper un éloignement croissant des électeurs pour des institutions qui fonctionnent entre elles et font abstraction de leurs électeurs.
    Ce peut être le rôle de médias consciencieux, mais ce doit être celui de ceux qui agissent et prennent des responsabilités dans un ensemble politique que de le rendre clair et limpide à ceux qui les élisent s’ils veulent garder leur soutien. A défaut l’incompréhension génère le rejet et il ne faut pas anticiper autre chose qu’une continuité de la baisse de la participation des électeurs aux élections européennes, mais également nationales. Car la méfiance qui se répand depuis Strasbourg et Bruxelles s’étend nécessairement aux responsables nationaux qui y exercent des responsabilités. Et comment ne pas douter que les responsables politiques, qui ne rendent compte que partiellement de leurs actions sur une partie de leurs responsabilités, maîtrisent ces responsabilités et agissent avec transparence concernant leurs autres engagements, nationaux ?

  10. Merci à Corinne Lepage pour son plaidoyer pour l’Europe, qui contribue à alimenter le débat sur ce fameux déficit d’informations par les médias.

    Quelques mois après le résultat des élections,nous pouvons considérer,que le mal est toujours apparent.

    Qui peut croire un seul instant,que le seul Eurozapping du Grand Soir 3 actuellement,permettra au débat de s’inscrire dans le paysage audiovisuel,qui comprend de nombreuses chaînes pouvant « éclairer » les citoyens sur la vision Européenne,dans une économie globalisée.

    Incontestablement,ce manquement à l’éducation est une faute grave,qui nourrit les populismes de tous horizons dans une attitude mortifère.

    Encore une fois de l’audace !

    Il est certain que « Sauvons l’Europe » à plus que jamais un rôle à jouer face aux décideurs,pour le bien de tous.

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