La gauche portugaise en désordre de bataille

Ce dimanche 24 janvier, les Portugais sont appelés à participer au 1er tour de l’élection présidentielle qui doit désigner le futur Chef de l’État.

Elu pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois, au suffrage universel direct lors d’un scrutin à deux tours, le Président de la République est une figure respectée et un gage de stabilité dans un système politique caractérisé par de réguliers changements de gouvernement et de majorité. Il dispose essentiellement du pouvoir de dissoudre le Parlement et de nommer le Premier ministre. Ce rôle d’arbitre lui confère un rôle essentiel en temps de crise, situation dont le pays n’est pas tout à fait sorti depuis la crise de la dette de 2010.

L’élection de janvier 2016 intervient dans un contexte particulier de morcellement du paysage politique et d’interrogations sur la politique économique à mener pour le pays.

Dix candidats : unité à droite, éclatement à gauche

La droite (composée de deux partis) présente un candidat unique, Marcelo Rebelo de Sousa, mais neuf autres personnalités sont candidates.

Les socialistes ne sont pas parvenus à présenter un candidat commun. Deux personnes s’en réclament : Maria de Belém et Henrique Neto. Ni le Parti Socialiste, ni le Premier ministre socialiste Antonio Costa n’ont tranché en faveur de l’un ou de l’autre. Ce doublet illustre les divisions qui traversent l’ensemble des partis de gouvernement de gauche européens entre une aile gauche plus radicale que l’aile droite, plus réformiste. Les études d’opinion suggèrent néanmoins que l’électorat socialiste le plus à gauche plébisciteraient davantage un élu indépendant, António Sampaio da Nóvoa, que Neto, laissant Maria de Belém capter les intentions de vote de centre-gauche.

Bien que partenaires des socialistes dans le Gouvernement Costa, le Parti Communiste et le Bloc de Gauche présentent également chacun un candidat. Ainsi, Edgar Silva et Marisa Matias se sont livrés à un affrontement souvent violent pour faire apparaitre leurs différences plutôt que leurs ressemblances, sans toutefois réussir à dépasser la barre des 6% dans les diverses études d’opinion depuis le mois de septembre[1]. Cândido Ferreira, ancien membre du Parti Socialiste, est lui aussi en lice à  gauche sans toutefois parvenir à percer dans les médias ou les intentions de vote.

Les trois autres candidats sont Jorge Sequeira, Vitorino Silva et l’ancien maire de Porto, Paulo de Morais, parti en croisade contre la corruption au centre de l’actualité politique ces dernières années.

 

Le candidat conservateur pourrait l’emporter dès le premier tour

Les violents affrontements entre les différents candidats de gauche ont bénéficié au candidat de droite Rebelo de Sousa. Figure populaire, ce dernier a su capitaliser sur sa notoriété auprès du grand public en tant que présentateur de télévision et est apparu comme rassembleur en promettant de ne pas renverser le gouvernement de gauche s’il accédait à la Présidence.

A 30% dans les sondages au début du mois d’octobre[2], toutes les études d’opinion depuis le début du mois de novembre[3] le placerait au-dessus des 50% nécessaires pour être élu dès le 1er tour.

Dans le même temps, l’indépendant de gauche radicale, Antonio Sampaio da Novoa, et la socialiste Maria de Belém sont au coude à coude avec respectivement 16,8% des intentions de vote et 16,3% des voix.

Si aucun des candidats n’obtient plus de 50% des suffrages, les deux premiers s’affronteront le 14 février, lors d’un second tour de plus en plus improbable.

 

Intentions de vote en faveur des six principaux candidats (Septembre 2015 – Janvier 2016)

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Sources : Aximages3 4, Eurosondagem1, UCP-CESOP[4]

 

Intentions de vote pour le 1er tour

(7-13 janvier, sondage Eurosondagem1)

portugal2

 

Le bilan mitigé de l’alliance des gauches portugaises

Après les élections législatives du 4 octobre 2015, la coalition de droite sortante, dirigée par Pedro Passos Coelho, a perdu sa majorité au Parlement et a été évincée du pouvoir par une alliance inédite entre le Parti socialiste et les formations de la gauche radicale, le Parti Communiste et le Bloc de Gauche.

Si l’« accord de confiance et de soutien » de novembre 2015, signé par ces partis, a permis au socialiste Antonio Costa de devenir Premier Ministre, la coalition de gauche est aujourd’hui est mise à mal par l’exercice du pouvoir.

Le Portugal est ainsi le seul pays de la Zone euro à ne pas avoir encore voté de loi de finances pour 2016. Cela signifie que le pays fonctionne sur le budget 2015, reporté mois par mois. Alors que le Président de la République a le dernier mot sur le budget et le pouvoir de dissoudre l’Assemblée Nationale, cette incapacité à présenter un projet de loi de finances pénalise durement la gauche, taxée d’amateurisme par la droite et en porte à faux vis-à-vis de la Commission européenne à laquelle le budget pour 2016 n’a pas pu être présenté.

Les divisions au sein de la majorité sont également apparues au grand jour avec la faillite de deux nouvelles banques. Pour la plus importante d’entre elles, la BANIF, le sauvetage de l’Etat n’a pu être réalisé qu’avec l’abstention de la droite au Parlement, le Parti Communiste et le Bloc de Gauche s’étant opposés à son renflouement. D’une manière assez inédite, le gouvernement a cherché à porter secours à cette banque à tout prix avant le 1er janvier et l’entrée en vigueur de nouvelles règles de l’Union bancaire. Plutôt prompte à satisfaire la gauche européenne, ces nouvelles règles permettent notamment aux plus gros actionnaires de participer aux pertes des banques en difficulté pour soulager les contribuables. Le problème, avec la BANIF, est que, depuis 2012, c’est l’Etat portugais qui est le plus gros actionnaire de la banque, et donc celui censé participer aux pertes.

Plutôt handicapante sur ces sujets, l’union des socialistes et de la gauche radicale s’avère néanmoins plus solide et favorable à Antonio Costa lorsqu’il s’agit d’« inverser » l’austérité. La majorité a ainsi pu tenir certaines de ses promesses : le salaire minimum a été augmenté de 5% au 1er janvier ; la ponction fiscale extraordinaire pour les revenus les plus bas a été diminuée ; quatre jours fériés ont été réinstaurés (deux laïcs et deux catholiques) ; les contrats de concession des transports publics de Lisbonne et Porto ont été suspendus et la privatisation à 61 % de la compagnie aérienne nationale TAP a été arrêtée.

Il n’est cependant pas certain que cela sera suffisant pour convaincre avant dimanche les électeurs portugais qui, quoi qu’il en soit, auront le choix entre six candidats de gauche qui ne se sont nullement ménagés dans la campagne, trois candidats indépendants et un candidat conservateur populaire et bonhomme.

Si ce dernier est élu, il pourrait être tenté de renverser la table et de dissoudre le Parlement. Rien ne permet de savoir non plus si la majorité hétéroclite des forces de gauche qui soutient le Gouvernement Costa sera assez solide pour tenir toute une mandature.

 

Pour l’instant, le statu quo devrait perdurer car personne n’a intérêt à apparaitre comme un facteur d’instabilité dans un pays où l’opinion est traditionnellement à la recherche de gouvernements durables et constants.

 

Pour autant, aucun parti politique ne semble aujourd’hui en mesure de réduire la défiance des Portugais à l’égard de leurs gouvernants. Dans ce contexte de déception, la violence des échanges dans le débat politique a contribué à couper le pays en deux sur le plan politique. Si cela permettra, pour un temps au moins, d’empêcher la formation d’un gouvernement d’union nationale, force est de constater que, ni la droite, ni la gauche ne semblent bénéficier d’une légitimité claire. La première, même si elle est en capacité de voir son candidat à la Présidence facilement élu, reste très affaiblie par l’austérité qu’elle a dû imposer au pays après le plan de sauvetage négocié avec la Zone euro, la BCE et le FMI. La seconde, malgré sa majorité au Parlement lui permettant de gouverner, est incapable de se protéger des divisions et des divergences d’intérêts entre partenaires de coalition.

A ce titre, les élections de dimanche ne devraient constituer qu’une étape dans le long chemin supposé rapprocher les Portugais de leur élite politique.

 

Michel Gelly, initialement publié sur Point d’aencrage

 

[1] Sondage Intercampus, 23-30 septembre 2015 :http://www.tvi24.iol.pt/politica/marcelo-rebelo-de-sousa/sondagem-tvi-marcelo-venceria-primeira-volta-das-presidenciais, Sondage Eurosondagem, 7-13 janvier 2016 :http://expresso.sapo.pt/politica/2016-01-15-Sondagem-Marcelo-alarga-vantagem

[2] Sondage Aximage, 26 septembre 2015  – 1er octobre 2015 :http://www.cmjornal.xl.pt/nacional/politica/detalhe/marcelo_lidera_presidenciais.html

[3] Sondage Aximage, 31 octobre 2015 – 4 novembre 2015 :http://www.cmjornal.xl.pt/nacional/politica/detalhe/marcelo_arrasa_nas_presidenciais.html

[4] http://www.dn.pt/portugal/interior/sondagem-marcelo-ganha-a-primeira-volta-e-ate-vai-buscar-votos-a-pcp-e-bloco-4924381.html

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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3 Commentaires

  1. Le fond du problème, comme d’ailleurs c’est le cas en France, c’est que la politique échappe au pays, dont les dirigeants au fil des années ont consenti de déléguer la plus grande partie des pouvoirs à « l’Union » €uropéenne.
    Ce qui fait que :
    – quel que soit le positionnement des élus, la politique dans les faits reste exactement la même et n’est plus décidée au plan national, mais dictée depuis Bruxelles,
    – l’orientation gauche/droite n’a donc plus aucune réalité et ne subsiste que pour donner le change et faire croire aux électeurs à l’existence d’un choix.
    – rien n’est dit de la participation, mais il y a tout lieu de penser que, comme en France où l’électorat d’élections en élections et de déconvenues en déceptions finit par déserter les urnes, il en soit de même au Portugal.
    C’est donc une campagne électorale et des affrontements politiques « pour rire », parce que, quel que soit le résultat des urnes, il ne se passera strictement rien et tout continuera comme avant.

  2. La situation rencontrée dans les pays Européens me semble liée à ce que j’appellerai la perte d’humanisme des institutions et des partis.
    Cela dans un contexte où le consumérisme s’est finalement traduit par une montée des inégalités à un niveau insupportable avec un nombre d’exclus grandissant.
    Ce consumérisme planétaire a entraîné la prise de pouvoir des financiers aggravée par la perte de repères en l’absence d’étalon pour les monnaies.
    Avec la libre circulation des capitaux ceux ci jouent un rôle spéculatif qui fausse le jeu démocratique, et l’évasion fiscale entraîne une montée de la dette des états qui vient s’ajouter à la dette des particuliers pour leur consommation.
    Une suggestion :Permettre aux citoyens de définir le rôle et les actions qu’ils attendent d’un président de la république dans le cadre de cette mondialisation, et ainsi dessiner les qualités nécessaires pour assumer cette fonction. Cela serait suivi de primaires (mais tous partis confondus et avec éventuellement des candidats libres) ou chaque candidat expliquerait en quoi il répond aux attentes des électeurs.
    Le résultat serait publié et on pourrait alors prendre en compte les véritables candidatures pour l’élection présidentielle.
    Cela ne serait pas valable pour la France, car le régime présidentiel Français consiste à confier tous les pouvoirs à un individu sans contrôle démocratique.

  3. Tout cela est de l’histoire ancienne ! C’était en 2016, nous sommes en 2020, notre président élu l’a été par un vote consequent et le changement de paysage tourné plus à gauche continue à donner satisfaction au plus grand nombre ! Et j’ai eu le plaisir de constater hier que les Espagnols avaient imité les portugais en s’unissant (podemos + psoe) avec en plus l’intention de régler le problème de la Catalogne (en accordant plus d’autonomie comme au Pays Basque)
    Bien à vous
    Danielle Foucaut Dinis

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