La directive qui fâche

La vigilance reste de mise après le compromis provisoire de décembre dernier relatif à la directive européenne sur le secret des affaires.

On a échappé au pire : tel semble être le constat des opposants à la directive sur le secret des affaires, à propos du compromis trouvé le 15 décembre dernier par le Conseil et le Parlement européens réunis en trilogue avec la Commission. Depuis des mois, ONG, syndicats et journalistes se mobilisent pour alerter l’opinion publique et les responsables politiques sur les dangers de ce projet : 67 organisations issues de onze pays européens ont ainsi lancé l’appel « Stop Trade Secrets ». En France, la pétition initiée par la journaliste Elise Lucet a recueilli plus de 430 000 signatures.
Pour ces acteurs, le texte proposé par la Commission européenne, au motif de protéger les entreprises de la concurrence déloyale, produisait une définition du secret des affaires large et floue, qui aurait permis de poursuivre devant les tribunaux les journalistes, les syndicalistes et les lanceurs d’alerte divulguant une information d’intérêt général. Avec un tel régime, les révélations autour des LuxLeaks ou des pesticides de Monsanto n’auraient eu aucune chance de voir le jour, dénonçaient ses opposants.
Le compromis, qui sera soumis au vote du Parlement en 2016, cherche à lever ces inquiétudes. Il réaffirme notamment le respect de la liberté et du pluralisme de la presse. Autre exception, qui protège les lanceurs d’alerte : le fait de révéler une faute, une malversation ou une activité illégale dans l’objectif de protéger l’intérêt général ne pourra faire l’objet de poursuites. Enfin, le texte fait primer l’exercice du droit des salariés et des représentants de salariés à l’information et à la consultation.
Gros bémol cependant : bien qu’il reconnaisse qu’aucune restriction ne peut être appliquée « au recours à l’expérience et aux compétences des employés qu’ils ont acquises de manière honnête au cours de leur carrière », ceux-ci, en tant que détenteurs de secrets d’affaires, peuvent faire l’objet de poursuites durant six ans après avoir quitté une entreprise. Un frein potentiel à la mobilité des salariés.

Pression des multinationales

 Surtout, c’est le principe même d’une réglementation sur ce sujet qui continue de poser problème pour ses opposants. Ils dénoncent la pression exercée par les multinationales américaines et européennes sur les gouvernements européens pour l’obtenir dans le cadre des négociations sur le traité transatlantique (TTIP). Alors que les Etats-Unis s’apprêtent à voter une loi fédérale similaire, l’objectif serait d’intégrer un chapitre cohérent sur ce thème dans le traité. Les tentatives (avortées jusqu’ici) des gouvernements français depuis quelques années de légiférer sur cette question montrent à quel point l’Hexagone est d’abord soucieux de l’intérêt de ses multinationales.

Marc Chevallier
Alternatives Economiques n° 353 – janvier 2016 – Soutenez Alter Eco: Abonnez-vous

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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6 Commentaires

  1. Ce débat est fondamental, certains voulant étouffer toute velléité d’information, pas seulement les multinationales qui sont au premier rang.

    Le TTIP, très secret, négocié dans la plus grande opacité par des membres de la Commission qui semblent prendre des engagements en notre nom, alors qu’ils n’ont aucun mandat… Le TTIP donc, intégrerait la possibilité pour un Tiers (comprendre société ou lobby) d’ester contre un Etat qui prendrait des mesures légales opposées à l’intérêt de ce Tiers, dans une cour arbitrale et pas dans un Tribunal.

    La culture anglo-saxonne en matière de Droit n’est pas le code civil, la Loi écrite, mais le contrat qui aborde et règle les sujets de controverse.
    C’est pourquoi les contrats anglais ou américain sont si épais.
    En Europe, nous pratiquons le Droit écrit, et les lois européennes s’imposent aux états membres de l’UE; même au Royaume Uni où cohabitent Droit écrit européen et Droit coutumier du contrat (argument utilisé par les « pro-Brexit » quand ils demandent la prééminence du droit britannique).

    Cette demande (-exigence?) des américains de substituer une cour arbitrale à la justice commune est la simple expression de leur intérêt.

    Dans l’excellente émission « Cash Investigation » présentée par Elise Lucet sur les pesticides, on a vu un collectif des fabricants de pesticides réuni pour contester une Loi votée par Hawaii qui réduisait leurs pratiques, les pesticides intenses produisant des conséquences dramatiques pour les habitants,
    et l’avocate en chef de la dizaine d’avocats mobilisés déclarer « la Loi n’est pas pertinente pour restreindre notre industrie » et « le peuple n’a pas son mot à dire »….
    Le collectif des pesticides a gagné, la loi annulée, et je ne sais pas si ce résultat fut acquis dans une cour de justice ou une cour arbitrale.

    En tout état de cause, les propos de cette avocate sont descriptifs des pensées des gros et riches Tiers: Aucune Loi, Aucun pays, personne, ne peut obérer nos décisions et notre profit.

    Le TTIP prévoit le recours à une cour arbitrale.
    Nous savons en France ce qu’une cour arbitrale peut faire et décider, que le Droit réprouve!

    • Merci pour cet éclairage qui permet de mieux comprendre les enjeux. On a tellement tendance à penser que le Droit français est peu ou prou le même dans les autres pays…

  2. jlcatalan a totalement raison. Ce qui renforce encore la gravité de cette reddition de l’UE,c’est que cabinets d’avocats américains sont rompus à ces pratiques et que les européens perdront tous les procès les uns après les autres.

  3. Qu’en termes mesurés tout cela est dit. L’auteur ne prend pas parti. Pourtant, je suppose que c’est un Français et, en tant que Français, il est tout autant concerné que n’importe qui.
    Car, en réalité, il s’agit d’une véritable arnaque, mais on ne le dit pas, on ne la dénonce pas et on s’efforce de continuer à « négocier ».
    Mais avec qui ?!…
    En réalité, des demandes semblent parvenir de « l’extérieur » aux dirigeants de « l’Union » €uropéenne et ils doivent y répondre. Refuser ne semble pas faire partie des options possibles, alors ils négocient…
    S’ils étaient véritablement des décideurs, par ailleurs soucieux des populations et des entreprises, ils ne devraient avoir rien d’autre à faire que refuser.
    Il en est de même pour pratiquement la totalité des sujets : l’autorisation des OGM en plein champs, l’exploration ou l’exploitation des gaz de schistes, l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes, les sanctions contre la Russie, le TAFTA, le TISA, l’ISDS, le CETA, le TFA.
    Sur tous ces sujets, soit les eurodéputés y sont favorables d’office, soient ils freinent, résistent, négocient.
    D’ailleurs, ce projet de « protection du secret des affaires » s’inscrit en réalité dans tout l’arsenal que propose le TAFTA/TTIP.
    Il s’agit, en réalité, d’une mesure qui anticipe son adoption.
    Le refus semble impossible. Comme il semble impossible de savoir qui est à l’origine de ces projets.
    C’est ça, en réalité, le fonctionnement impeccable de nos institutions…

  4. @ jcatalan:
    tout en étant pour ma part encore dans le doute au sujet de l’évolution du dossier « Traité transatlantique », je pense qu’à tout le moins votre affirmation « le TTIP, très secret, négocié dans la plus grande opacité par des membres de la Commission qui semblent prendre des engagements en notre nom, alors qu’ils n’ont aucun mandat » mérite quelques nuances. Ainsi :

    – pour ce qui est de l’absence de mandat, l’historique du processus de négociation montre que, comme cela est habituel pour les négociations internationales que mène l’UE, un mandat en bonne et due forme a bien été confié à la Commission par le Conseil (au niveau des ministres des Affaires étrangères) représentant les Etats membres de l’UE, le 17 juin 2013. A la demande de la Commission, sensible à l’ incrimination d’opacité, ce document a été déclassifié par le même Conseil le 9 octobre 2014. Cela signifie que, depuis cette date, il est consultable sur le site du Conseil ;

    – d’une façon plus générale, si la Commission a commis quelques maladresses au niveau de son action initiale de communication sur ce dossier, elle a pris soin, depuis lors, de redresser la barre en mettant en œuvre des initiatives de transparence, notamment sous l’impulsion de la commissaire au Commerce, Mme Cecilia Malmström, qui a souhaité agir en ce sens dès sa prise de fonctions à l’automne 2014. On peut à cet égard se reporter au site de la Commission sous la référence ec.europa.eu/trade/policy /in-focus/ttip/about-ttip/index_fr.htm (NB : en dépit de sa connotation anglaise, cette référence permet d’accéder aux documents en français).

    Gérard Vernier

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