Crise grecque : la réponse européenne

Ni les promesses d’un paquet de privatisations de 50 milliards, ni les engagements d’une cure d’austérité sans précédent sur ses dépenses publiques n’auront suffit.

La Grèce est en train d’échouer dans ses efforts de stabilisation financière et est à nouveau au bord du gouffre : son économie s’enfonce, le semblant de consensus national sur les efforts demandés se lézarde (appel à la Grève générale le 15 juin), et les experts de la « Troïka », mandatés par ses créanciers (FMI, Banque centrale européenne et Commission) viennent de rendre leur verdict : la Grèce ne respectera probablement pas l’engagement de réduire son déficit à 7.5% du PIB à la fin de l’année (contre 10,5% l’an dernier).

Privée de tout accès aux marchés financiers (les dernières émissions à 2 ans se sont faites à des taux d’intérêts totalement prohibitifs de près de 20% !), la Grèce, même en bénéficiant d’une nouvelle rallonge de l’Europe, ne fait que gagner du temps : avec 100 milliards de plus – un montant vertigineux actuellement en cours de discussion entre Européens et qui s’ajouterait aux 100 milliards de 2010 –, la Grèce pourrait au mieux tenir jusqu’à fin 2014. Et ensuite ?

Même en 2015, il est très peu probable que la Grèce puisse acquitter les intérêts d’une dette qui pourraient atteindre alors près de 180% du PIB, et afficher l’excèdent primaire délirant de quelques 3% du PIB qui lui permettrait de stabiliser ses déficits. Le Financial Times a même calculé qu’il lui faudrait une croissance du PIB de 4% par an alors que la Grèce affiche sa 3e année de récession, avec une chute du PIB de -3,5% attendue cette année, récession qui sera sans doute encore plus importante si les mesures d’austérité sont renforcées.

Dans ce contexte, la spéculation sur une possible restructuration de la dette souveraine grecque a repris de plus belle. A tort.

Disons le clairement : ce serait la pire des solutions. Ses conséquences seraient incalculables : effondrement du secteur financier grec, déstabilisation de la BCE (qui détient 90 milliards de prêts sur les banques grecques), contagion à l’Espagne, l’Irlande et le Portugal, avec à la clé une explosion des coûts de financement dans toute l’Europe. Pire encore : elle ne changerait rien au problème grec. Même après une restructuration « hard » ou « soft » (« reprofilage », « rééchelonnement », « offre d’échange volontaire » ou « roulement des positions », lesquels s’avéreraient tous par ailleurs techniquement périlleux), la Grèce se retrouverait très probablement à nouveau… en situation de non solvabilité en 2015 ou 2016.

En réalité, la crise grecque durera tant que la Grèce n’arrivera pas à redresser son économie. Et elle ne pourra redresser son économie tant qu’elle restera écrasée par le poids de sa dette. La Grèce par ailleurs ne pourra s’en sortir seule.

Dans de telles conditions, entre l’Europe et le chaos, nous choisissons l’Europe !

La seule décision qui fasse sens sur le long terme et donne de la consistance au projet de gouvernance économique européenne est une européanisation de la dette grecque, c’est-à-dire son rachat par la Banque Centrale Européenne (BCE) et par le Mécanisme Européen de Stabilité (MSE).

Les avantages seraient majeurs. D’abord, l’arrêt de toute spéculation en Europe sur la dette grecque, et de tout risque de contagion aux autres pays européens. Placée intégralement sous le « masque à oxygène » européen, la Grèce verrait immédiatement chuter le taux moyen appliqué à sa dette souveraine à 4% environ. Ce rachat se ferait au cours actuel du « marché », soit à un taux inférieur entre 30% et 40% au nominal des titres. Les délais de remboursement très favorables octroyés en mars à une partie de la dette grecque seraient immédiatement appliqués à sa totalité, avec un paiement des dernières échéances reportées en mai 2021 contre 2015 aujourd’hui.

Trop favorable à la Grèce ? L’« européanisation » de la dette grecque ne signifiera pas son annulation. La Grèce devra consentir de lourds sacrifices pour revenir à une trajectoire financière plus « acceptable », mais dans le cadre d’échéances de remboursement assouplies, de taux d’intérêts abaissés, et d’un engagement politique de redressement pluri-annuel avec son unique « créancier » désormais : le reste de l’Europe, à la place de la pression spéculative incessante des marchés.

Trop favorable au secteur financier ? Le rachat de la dette que nous proposons se ferait avec une importante décote – de l’ordre de 30% par rapport au nominal. N’oublions pas en outre que, les difficultés de la Grèce viennent moins des banques prêteuses que… des libertés prises par le gouvernement grec avec ses comptes publics à une certaine époque…

Un accord déséquilibré pour l’Europe et inacceptable pour l’Allemagne ? Non, si en contrepartie l’Union européenne en profite pour acter une nouvelle étape de son intégration dans deux directions impératives :

1- L’intégration : institutionnalisation de l’Euro-groupe, renforcement de la supervision et de la coordination « préventive » des politiques macro-économiques et budgétaires, jusqu’à l’établissement d’un Conseil des Ministres des Finances doté d’un véritable droit de veto sur certaines décisions de politique économique nationale des pays en dérive financière après avoir sollicité l’aide de la zone,

2 – La restauration d’une politique macro économique européenne orientée vers la croissance. Car si la Grèce devra payer, elle ne pourra s’en sortir seule. L’Union européenne devra aussi aider la Grèce à rebâtir une nouvelle stratégie de compétitivité économique, autour de programmes d’investissement « de relance » au bénéfice de l’industrie et des infrastructures grecques.

A cette condition, l’Europe pourra sauver la Grèce. Et ce faisant, se sauver elle-même.

Julia Cagé est économiste à l’Université de Harvard et à l’Ecole d’Economie de Paris.

Thomas Chalumeau est coordinateur des questions économiques à la Fondation Terra Nova.

Texte publié pour la première fois sur Marianne2

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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